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plus suaves avec un style si pathétique et si touchant, que la salle retentit de bruyantes acclamations. La victoire resta indécise entre la prodigieuse flexibilité qui caractérisait surtout la manière de Caffarelli et la grâce mêlée de tendresse qui était le partage de Gizzielo.

— C’est à peu près mon histoire avec la Gabrielli que vous venez de raconter, interrompit Pacchiarotti. Lorsque je me rencontrai pour la première fois à Venise, en 1777, avec cette puissante et fantasque prima donna, que tant de rapports de ressemblance rapprochaient de Caffarelli, je me crus perdu, Poveretto me, m’écriai-je, questo è un portento ! c’est un prodige ! Je ne dus mon salut, dans cette circonstance, qu’à un peu de sentiment dont la Gabrielli était complètement dépourvue.

— Je revis Gizzielo à Madrid, continua Grotto, où il fut appelé par mon ami Farinelli en 1749. Les conseils de l’élève de Porpora perfectionnèrent son goût, et je n’oublierai de ma vie la manière dont il chantait un air de la Didone abvandonala que Vinci avait composé pour lui à Rome, en 1730, ainsi qu’un autre admirable morceau de l’Artaserse, du même compositeur :

E pure sono innocente…


dans lequel Gizzielo faisait pleurer son auditoire. Rappelé à la cour de Lisbonne, où il avait déjà été une première fois en 1743, il y est resté jusqu’en 1754. Comblé de richesses par le roi de Portugal, Gizzielo s’est retiré à Rome, où il est mort presqu’à la fleur de l’âge, en 1761[1].

Farinelli dut quitter aussi l’Espagne en 1761, peu de temps après la mort de Ferdinand VI. Charles III, en congédiant le grand virtuose avec une pension considérable, lui rendit ce témoignage, qu’il avait usé avec modération de la faveur dont l’avaient honoré ses prédécesseurs. Il eut ordre, je crois, de se retirer à Bologne, dans cette ville studieuse et paisible où trente ans plus tôt il avait rencontré Bernachi, dont l’exemple et les sages conseils eurent une si grande influence sur sa destinée d’artiste. Il aimait à reconnaître qu’après Porpora, qui avait dirigé son enfance, les deux hommes qui avaient le plus contribué à épurer son goût et son style, c’étaient l’empereur Charles VI elle sopraniste Bernachi. Retiré dans une belle habitation qu’il avait fait construire à une lieue de Bologne, entouré de sa sœur et de ses deux enfans, qu’il affectionnait beaucoup, il y vécut somptueusement, en exerçant l’hospitalité d’un

  1. Grétry, qui se trouvait alors à Rome, dit dans ses Mémoires, p. 116 : « Un fameux chantent que j’ai vu à Rome, Gizzielo, envoyait son accordeur dans les maisons où il voulait montrer ses talens, non-seulement de crainte qu’il ne fût trop haut (le clavecin) mais aussi pour la perfection de l’accord. »