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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/630

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rencontrés sur sa route, le serf dont ils ont touché la main rentre chez lui avec le sentiment de la dignité humaine, sentiment confus encore, mais qui, une fois éveillé, ne s’évanouira plus.


II. — LES EXILÉS POLITIQUES.

Per me si va nella città dolente… Quand on suit en Sibérie des voyageurs tels que M. Hansteen et M. Erman, M. Castrén et M. Hill, il est impossible que le souvenir des exilés ne vienne pas sans cesse obséder l’imagination. Il s’en faut bien toutefois que cette curiosité si naturelle soit complètement satisfaite par leurs récits. Tous les exilés politiques de Sibérie ne sont pas soumis au même sort. La Russie elle-même a subi l’influence de l’adoucissement général des mœurs, et la justice sommaire des tsars, bien différente de ce qu’elle était sous Élisabeth ou Catherine II, a établi parmi les condamnés plusieurs catégories très distinctes. À côté des châtimens effroyables, il y a des punitions moins rigoureuses, lesquelles, se transformant encore à la longue, permettent de trouver une patrie aimée au milieu des tristesses de l’exil. Les malheureux qui n’ont rien à espérer, ce sont ceux que la loi dégrade de leur dignité d’homme et enferme dans les mines de l’Oural. Là, point de pardon, point d’adoucissemens ; c’est la mort avec les tortures de la vie, une mort de tous les jours, de toutes les heures, et sans que l’intérêt ou la pitié soit du moins une consolation pour la victime. Vivent-ils encore ? ont-ils succombé ? Nul n’en sait rien, et le voyageur qui visite ces contrées, le voyageur qui voudrait saluer ce visage flétri, serrer cette main innocente, noter le souvenir de ces cruels tableaux et signaler le malheureux à la clémence du maître ou à la pitié du monde, le voyageur passe auprès des sombres retraites où sont ensevelies tant de douleurs sans rien voir et sans rien entendre. M. Hill a pu visiter une des mines de l’Oural, une seule, la mine d’or de Neviansk sur le versant oriental de la montagne ; M. Hansteen, M. Erman, M. Castrén n’ont fait que traverser les défilés de la chaîne qui sépare la Sibérie de la Russie d’Europe. Ne leur demandez pas de renseignemens sur les condamnés de l’Oural ; ils savent par les récits des habitans, par un mot échappé à la pitié, par un geste, par un regard, ils savent qu’il y a là d’épouvantables mystères ; ils n’ont rien vu, ils n’ont rien entendu ; les ténèbres et le silence couvriront éternellement ces horreurs, res altâ terrâ et caligine mersas.

Avant de descendre au fond des gouffres, sur la route de Nijni-Novogorod à Tobolsk, les exilés condamnés aux mines sont confondus avec les exilés ordinaires ; c’est là que nos voyageurs en ont rencontré partout sur leur chemin. Les premiers qu’aperçut M. Hill