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Supposons que des érudits allemands un peu aventureux (la chose n’est pas rare) traitent la Bible comme un livre hindou ou persan, qu’ils lui demandent l’âge de ses diverses parties, le nom de tous ses auteurs, les preuves détaillées de son autorité ; admettons encore que, pour expliquer les prophéties et les récits de miracles, ils tiennent compte du climat, du sol, du voisinage du désert, de la constitution nationale, de l’imagination nationale ; imaginons enfin qu’ils appliquent au livre tous les doutes de la critique et de la logique : il est clair qu’il aura le sort d’un livre hindou ou persan. Nos raisonneurs jugeront que nul peuple n’a eu plus de penchant pour l’hallucination, moins d’aptitude pour la science, plus de facilité à s’exalter et à croire, moins de dispositions pour raisonner exactement et juger sainement : ils trouveront que ses livres ont subi autant d’altérations et présentent aussi peu de garanties que les premiers poèmes de la Perse ou de la Grèce, et ils expliqueront l’histoire des Juifs et du christianisme d’une manière aussi plausible et par des raisons aussi naturelles que le développement du polythéisme et l’histoire du peuple romain ; mais le vrai fidèle les regardera faire en souriant ; il prendra en pitié et en défiance la raison humaine, qui, livrée à ses propres forces, dévie ainsi de la droite ligne, et dès que l’autre voudra conclure, il s’enfuira à cent mille lieues, dans le ciel. Concevons donc que les principes de croyance dont la religion fait usage sont des facultés à part, que ces facultés échappent aux prises et à l’attaque de la raison, qu’elles la considèrent souvent comme ennemie, toujours comme subalterne, et que c’est les trahir et les détruire que de leur imposer pour guide celle qu’elles traitent en adversaire ou en servante. Cette conciliation prétendue est une guerre déclarée à la religion.

Cette conciliation prétendue est aussi une guerre déclarée à la raison, car quel cas la raison fait-elle des deux facultés et des deux procédés qui fondent les religions ? Parlez à un savant de déférence à l’autorité, de foi immédiate, de croyance sans preuves, d’assentiment donné par le cœur ; vous attaquez sa méthode et vous révoltez son esprit. Sa première règle dans la recherche du vrai est de rejeter toute autorité étrangère, de ne se rendre qu’à l’évidence personnelle, de vouloir toucher et voir, de n’ajouter foi aux témoignages qu’après examen, discussion et vérification. Sa plus vive aversion est pour les affirmations sans preuves qu’il appelle préjugé, pour la croyance immédiate qu’il appelle crédulité, pour l’assentiment du cœur qu’il appelle faiblesse d’esprit. Vous lui objectez la force irrésistible de la foi ; il répond par un chapitre de Dugald Stewart, et prouve que la croyance est distincte de la connaissance, que l’imagination, l’habitude et l’enthousiasme suffisent pour fixer notre assentiment, que souvent la conviction est d’autant plus puissante qu’elle est moins