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sont le péché originel qu’elles apportent en naissant. — Non, dit le chrétien, l’église rejette cette doctrine. — Non, dit le philosophe, la physiologie déclare que l’âme est une force inhérente au corps qu’elle anime, qu’elle se développe avec lui, et ne peut pas plus se séparer de lui pour entrer dans un autre que la pesanteur ne peut se détacher de la pierre en qui elle réside et passer dans le caillou voisin. — Quelle preuve religieuse apportez-vous ? Des textes interprétés par vous autrement que par l’église, et conséquemment d’autorité nulle aux yeux d’un fidèle, puisqu’aux yeux d’un fidèle c’est l’interprétation de l’église qui leur donne autorité. Quelle preuve philosophique apportez-vous ? La supposition théologique que nos vices et nos misères indiquent des fautes antérieures et une punition présente, hypothèse fragile aux yeux d’un philosophe, reste d’une méthode usée qu’il dédaigne, et qu’il ne veut plus combattre parce qu’il l’a vingt fois renversée. Vous êtes philosophe contre la théologie, théologien contre la philosophie, et partout philosophe et théologien à contre-temps. Vos adversaires n’ont pas besoin de vous réfuter, vous vous réfutez vous-même, et avec ce besoin de conciliation, aussi contraire à la révélation qu’à la science, vous ne pouvez rien construire sans détruire ce que vous avez construit.

M. Jean Reynaud n’est pas le seul qui hasarde aujourd’hui ces pacifiques et infructueuses tentatives. Bien des esprits, et du premier ordre, essaient de les renouveler avec moins de franchise peut-être ou avec plus de précaution que lui. On ne voit que des mains tendues et des propositions d’alliance ; de vieux ennemis essaient d’oublier ce qu’ils ont voulu et ce qu’ils ont fait, et il s’en faut de peu qu’ils ne s’embrassent. Que les hommes s’embrassent, rien de mieux ; que les nobles esprits s’unissent dans la paisible idée de l’infini, ou dans l’aspiration vers le bien idéal, cela est poétique et beau ; mais il n’en est pas ainsi des théories. Nous pouvons tous et nous devons tous vivre en paix et en amitié dans la société civile, parce que dans la société civile nous avons tous intérêt à nous protéger les uns les autres. Séparés en spéculation, nous nous réunissons en pratique pour défendre notre liberté, nos biens et notre vie ; un malfaiteur est l’ennemi des chrétiens aussi bien que des philosophes, et le chrétien comme le philosophe paiera volontiers le gouvernement et le gendarme qui l’empêcheront d’être assassiné ou volé. Mais la même logique qui rend les citoyens amis rend les théories ennemies, et interdit dans la spéculation les alliances qu’elle impose dans la pratique. La philosophie, qui a pour but la vérité pure, comme l’état a pour objet le salut public, défend ses principes de certitude, comme l’état défend ses principes de concorde. L’état maintient à tout prix l’union qui le fonde ; la philosophie empêche à tout prix les conciliations qui la détruiraient.