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M. Pierre Leroux a démontré jadis une autre espèce de renaissance par les témoignages de Moïse, de Virgile et d’Apollonius de Thyanes, et nous espérions que de pareilles preuves n’oseraient plus se produire à la face du jour. Aille qui voudra cueillir le gui sacré dans les forêts de chênes ! Teutatès peut dormir tranquille, nous n’irons pas le réveiller ; si nous avons du respect pour les traditions vivantes, nous n’avons aucun respect pour les traditions mortes. Nous pensons que les traditions vivantes et les traditions mortes n’ont d’autorité qu’auprès des poètes, et quand nous voudrons croire, nous n’irons pas ressusciter des religions.

Arrivons enfin à la raison secrète, quelque part avouée, partout visible, qui soutient le système et lui permet de se passer de preuves, de vraisemblance et de bon sens. Le dialogue des deux interlocuteurs peut se résumer ainsi. — Mon roman, dit le théologien, est le plus beau, le mieux arrangé, le plus grandiose. — Non, répond le philosophe, c’est le mien. — Vous vous trompez, reprend le théologien, vous voyez qu’en ce point et en cet autre je m’accommode mieux aux désirs et à l’imagination de l’homme. — Attendez, réplique le philosophe, j’ai de quoi lever la difficulté. Écoutez encore cet article, vous verrez que je promets à l’homme plus de bonheur, que j’accorde à l’univers plus de magnificence que vous ne faites, et que personne n’a fait jusqu’ici. — Le paradis éternel et immuable, dit le théologien, est le plus désirable de tous les biens. — Non, dit le philosophe. « L’état qui se produirait, si, tous les égarés venant tour à tour à se dégoûter du mal et à rechercher le bien, l’enfer se vidait continuellement, si tous les saints, dans le magnifique accord de leurs aspirations, s’élevaient sans cesse à des degrés de perfection de plus en plus sublimes, si toutes les créatures enfin, consolidant progressivement leur union mutuelle et avec Dieu, ne formaient toutes ensemble, au-dessous de la majesté infinie, qu’une même unité d’adorateurs ; — un tel état serait évidemment supérieur à ce paradis étroit où il n’y a place que pour une partie de la création. » — Mes anges n’ont jamais péché, dit le théologien. — Les habitans de plusieurs de mes astres, dit le philosophe, n’ont pas commis la faute originelle et se sont conservés purs de toute souillure. — J’ai des myriades d’esprits bienheureux, dit le premier, distribués en neuf chœurs célestes. — Et moi, répond l’autre, j’ai un nombre infini de séries infinies de créatures merveilleuses, dont la perfection se rapproche sans cesse de la perfection de Dieu.

En résumé, le système se réduit à ceci : — Je désire ce bien, donc je l’aurai. Mon rêve est agréable, donc il est vrai.

Cette méthode n’est pas nouvelle, elle a fait de tout temps la force des religions. « La lumière est belle, disait un Grec du temps d’Homère.