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paroles, certains signes sacramentels rappelaient le sens du rite. L’examen de la Bible, beaucoup plus étendu qu’on ne s’attendrait à le rencontrer dans une Théologie de la Nature, a trouvé l’auteur mieux préparé. C’est une critique faite avec toute l’indépendance et la bonne foi d’un esprit honnête, ignorant les réticences et les détours. Néanmoins sur ce point encore on sent l’absence d’études exégétiques suffisamment fortes, et l’on a plutôt sous les yeux les réflexions individuelles d’une intelligence libre et sérieuse que le fruit de recherches bibliques prolongées.

Tout ce livre, on le voit, pèche par le plan et par la forme. La confusion s’y est introduite comme d’elle-même et a frappé presque de stérilité les précieux matériaux qui s’y trouvent rassemblés. C’est en un mot un ouvrage tout allemand par la manière dont il est conçu et écrit. La Théologie de la Nature est également un livre allemand quant au fond ; il a la science et la solidité des conceptions allemandes, tant de solidité même qu’il paraîtra dur à bien des gens, tant de science que plus d’un ignorant lettré pensera qu’on lui donne un peu trop à apprendre pour connaître Dieu, et qu’on aurait pu faire un catéchisme de la religion naturelle exigeant moins de mémoire et imposant moins de fatigue. M. Straus eût dû choisir pour modèles quelques ouvrages anglais de Buckland ou de Whewell, Inspirés par une pensée analogue à la sienne, bien que plus fidèle à la foi biblique. Les Anglais réussissent généralement dans ces traités scientifiques à l’usage de tous, traités pour lesquels l’Allemagne est trop diffuse et trop savante. La Théologie de la Nature veut absolument un lecteur déjà exercé ; toutefois le lecteur sera largement payé de son petit labeur. Il apprendra beaucoup, car il aura affaire à un naturaliste éclairé, à un anatomiste habile, qui s’est acquis une juste réputation, et non à un de ces compilateurs qui ne donnent jamais que les idées d’autrui décolorées ou mal comprises. Ce livre respire un parfum de bonhomie et de sincérité qui a bien son charme. C’est le testament d’une vie scientifique honnête et bien remplie. Les imperfections même que je lui ai franchement reprochées lui impriment un certain cachet d’originalité. On y reconnaît l’œuvre d’un esprit qui ne s’est développé que par sa propre culture, et n’a rien reçu des livres déjà faits. Il y a aujourd’hui tant d’emprunté, tant de factice et conséquemment tant de faux chez les écrivains souvent les plus écoutés, qu’on est heureux de rencontrer un type individuel au milieu de toute cette monnaie qui circule sans autre effigie que celle des communs préjugés. Qu’importe, après cela, que l’œuvre heurte quelques-unes de nos convictions, dérange nos habitudes, blesse notre oreille ? Lit-on seulement pour flatter ses idées et chercher des courtisans, ou pour s’éclairer ? Si c’est le dernier cas qui est le vrai, nul ne doit craindre d’aller chercher des contradicteurs, surtout quand on est sûr de trouver, comme dans le livre de M. Straus-Durckheim, beaucoup à apprendre et beaucoup à réfléchir.


ALFRED MAURY.


V. DE MARS.