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anti-anglicans du royaume-uni. Ce sont de sottes doctrines sur la Bible, le déluge ou la création, renouvelées du baron d’Holbach, élucubrations de quelques croyans à la phrénologie ou au magnétisme. Dans les hauteurs de la société anglaise au contraire, dans les trois classes les plus influentes de toute nation, — l’aristocratie, les classes moyennes, les écrivains, — l’hostilité contre l’église anglicane a pris une tournure réellement sérieuse et dangereuse. Dans l’aristocratie, c’est le mouvement catholique qui a prévalu. Tout ce monde oisif et opulent, tourmenté, comme les autres classes de la société, de l’esprit du siècle, s’est maintes fois tourné vers le catholicisme pour lui demander des consolations : c’est alors qu’ont eu lieu ces apostasies ou ces conversions, chacun les nommera comme il lui plaira, qui ont fait tant de bruit dans ces dernières années. Il est remarquable que, tandis que plusieurs membres de l’aristocratie se tournaient vers le catholicisme, il n’y en ait eu presque aucun qui soit devenu dissident ou rationaliste pur. Ce fait n’a rien d’étonnant toutefois ; les classes traditionnelles ont une tendance prononcée à se tourner vers les choses traditionnelles. Même au milieu de leurs aspirations vers l’avenir, c’est vers le passé qu’elles se tournent, et elles aiment volontiers à prendre pour les lueurs de l’aurore les reflets du soleil couchant. Dans les classes moyennes et parmi les écrivains, les choses se sont passées tout autrement, et le catholicisme a fait peu d’adeptes. En revanche, le socinianisme et le rationalisme, ou plutôt une certaine fusion de l’un et de l’autre, ont fait un progrès rapide. C’est là l’élément intellectuel le plus original de l’Angleterre contemporaine. Une espèce de christianisme philosophique dépassant l’unitarisme lui-même, et persistant encore obstinément à se donner le nom de religion, est né de l’alliance du vieux sentiment protestant de l’Angleterre, — sentiment opiniâtre et persistant au fond du cœur, même lorsque l’esprit est imbu des doctrines les plus contraires, — et de la moderne philosophie allemande.

Il y aurait un chapitre très curieux à écrire sur cette lutte du sentiment protestant de l’Angleterre et des idées critiques de l’exégèse allemande. La lutte a commencé dès longtemps et a trouvé une manière de héros dans le fameux Coleridge. Lui aussi fut sur le point d’être subjugué par les idées allemandes, mais il se débattit violemment et finit par triompher ; le lecteur assidu de Kant et de Goethe finit par redevenir un protestant orthodoxe et par mourir selon la formule de l’église anglicane. De telles luttes n’ont pas agité l’esprit du grand initiateur Thomas Carlyle, l’homme qui a le mieux expliqué à l’Angleterre la littérature allemande. Les doctrines anglicanes et l’orthodoxie protestante sont choses dès longtemps mortes pour lui. C’est lui qui, jusqu’à un certain point, a commencé tout le