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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/718

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vivre ? En outre n’avez-vous pas une fille, une fille qui n’est pas mariée ?

« — Mais si ce revenu ne m’appartient pas, ne vaut-il pas mieux qu’elle et moi nous allions mendier notre pain ? dit M. Harding vivement et d’un ton de voix si différent du ton précédent, que sir Abraham tressaillit. S’il en est ainsi, il vaut mieux mendier.

« — Mais, mon cher monsieur, personne ne prétend plus que ce revenu ne vous appartienne pas.

« — Pardon, sir Abraham, quelqu’un le prétend, quelqu’un, le plus important de tous les témoins à ma charge, c’est-à-dire moi-même. Dieu sait si j’aime ma fille, mais je préférerais qu’elle et moi allassions mendier que de la voir vivre dans le luxe avec un argent qui appartient réellement aux pauvres. Cela peut vous sembler étrange, sir Abraham, et cela est étrange pour moi-même, car j’ai vécu dix ans dans cette heureuse maison, et je n’ai jamais pensé à toutes ces choses jusqu’au jour où on les a fait si durement retentir à mes oreilles. Je ne puis me vanter bien haut de ma conscience, puisqu’il a fallu pour l’éveiller la violence d’un journal ; mais maintenant qu’elle est éveillée, je dois lui obéir. Lorsque je suis venu, je ne savais pas que M. Bold avait renoncé aux poursuites, et mon dessein était de vous supplier d’abandonner ma défense. Comme il n’y a pas d’action intentée, il ne peut plus y avoir de défense ; mais il est bon, en tout cas, que vous sachiez qu’à partir de demain je cesserai d’être directeur de l’hôpital. Mes amis et moi nous différons sur ce sujet, sir Abraham, et ceci ajoute beaucoup à mon chagrin, mais ma résolution est prise irrévocablement. »


M. Harding se démet donc de ses fonctions, malgré les remontrances du docteur Grantley. Il est facile de deviner la conclusion de l’histoire : John Bold répare le tort qu’il a fait à la fortune d’Éléonore en l’épousant.

M. Trollope a-t-il voulu donner dans le personnage de M. Harding un modèle à suivre aux clergymen de l’église anglicane ? il est à craindre en ce cas que l’exemple ne soit pas suivi, et qu’il n’y ait au sein du clergé anglican plus de docteurs Grantley que de M. Harding. Le caractère humain est moins susceptible malheureusement que celui du bon révérend, et il est beaucoup plus raide. Les luttes politiques seraient bien vite terminées, si toutes les fois qu’un abus est attaqué, ceux qui en vivent y renonçaient aussi spontanément. Si c’est un conseil que M. Trollope donne aux clergymen détenteurs de bénéfices illégaux ou injustes, il est permis de croire, même sans avoir trop mauvaise opinion de la faible nature humaine, que le conseil ne sera pas suivi. Quoi qu’il en soit, son récit est curieux comme indice du sentiment public sur ces questions délicates et dangereuses.

Cependant l’église anglicane est encore très puissante malgré les attaques de ses ennemis. Dans toutes ses entreprises extérieures, dans tout ce qu’on pourrait appeler sa politique étrangère, missions.