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aux négocians de Rotterdam d’être des défectionnaires ; ils les accusent d’abandonner les bonnes et saines traditions du vieux commerce hollandais pour les utopies de la Grande-Bretagne. La vérité est que les commerçans s’y déclarent partisans du libre échange, qu’ils risquent un peu leurs capitaux, qu’ils entrent en lice avec les associations anglaises sur les marchés des deux mondes. Dans le style des rues, des quais, des constructions, on sentie mouvement d’une ville qui veut rompre les anciennes formes sous lesquelles s’enveloppe fièrement sa rivale.

Les richesses se forment à Amsterdam et à Rotterdam : elles se dépensent à La Haye (en hollandais ’sGravenhage), mais toujours avec modération. La Haye est une ville officielle, une résidence royale. Les rapports avec l’étranger n’ont pas été sans exercer une action sensible sur le caractère de ces trois centres de population. À Amsterdam, on découvre surtout l’influence germanique, à La Haye l’influence française, à Rotterdam l’influence anglaise ; mais dans ces trois villes, comme dans tout le reste de la Hollande, l’élément indigène surnage toujours. La Haye a d’admirables promenades, des bains de mer très fréquentés à Scheveningen, qu’on peut considérer comme un faubourg de la ville, un théâtre français, des concerts dans le Bois pendant l’été, des cercles élégans, une société choisie, quelques édifices modernes, des quais plantés de beaux arbres, des places charmantes, un palais des états où siègent maintenant les deux chambres, vieille et grave construction à laquelle se rattache l’histoire si dramatique de la Hollande. On suit dans toutes les villes principales des Pays-Bas les modes françaises, mais surtout à La Haye[1]. Les femmes y sont peut-être mises avec un luxe moins solide qu’à Amsterdam, mais avec plus de goût. Le caractère économique et moral de ces trois villes, Amsterdam, Rotterdam et La Haye, nous prépare, on le voit, à suivre d’un regard plus exercé le développement de l’industrie hollandaise et du génie national.

Deux forces combinées engendrent la richesse, — la force qui acquiert et la force qui conserve. Le peuple hollandais est un peuple sobre et économe de jouissances. Cette frugalité est une loi de son

  1. Il y a cependant un détail de mœurs qui nous a frappé et qui donnera une idée du caractère hollandais. En France, on dévore la vie, on pousse devant soi le temps, jusqu’au moment où l’on voudrait le retenir. Les petites filles aspirent à être des jeunes filles, les jeunes filles à devenir femmes. Cette impatience d’être autre chose que ce qu’on est, cette tendance à sortir de son âge et de sa condition n’existe pas en Hollande. On voit ici des adolescentes déjà grandes, des filles de quatorze ou quinze ans, qui portent encore le costume de l’enfance, robe courte et pantalon d’indienne, tablier blanc, cheveux nus et bouclés. Il est permis de croire que la candeur des sentimens se conserve chez elles avec les habits du premier âge. On dit, il est vrai, que c’est l’autorité des mères qui les maintient dans ce costume innocent ; mais si l’esprit des jeunes filles était tout à fait contraire à cela, l’autorité maternelle ne prévaudrait pas longtemps.