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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/785

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tous les libres penseurs, où le sceptique Bayle a pu vivre en paix, où Spinoza lui-même n’a point été brûlé. Le respect de toutes les convictions fortes et honorables, de toutes les infortunes imméritées, s’alliait dans les Pays-Bas à un fonds naturel de bienveillance. Des protestans de la Belgique ou de la France, chassés par les bourreaux de Philippe II, par les massacres de la Saint-Barthélémy ou par la révocation de l’édit de Nantes, formèrent en Hollande une église dont la langue, l’organisation et les édifices religieux subsistent encore, l’église wallonne. La plupart de ces étrangers attendaient que la rigueur des persécutions se détendît ; ils avaient touché la Hollande comme un port : ils y restèrent[1]. À leur suite vinrent les Juifs. Il y a une justice inhérente aux choses et aux actions humaines : celui qui, selon le langage de l’Évangile, a des récompenses pour tout acte de charité, même pour le verre d’eau donné à un pauvre, n’a pas voulu que cette tolérance religieuse fût sans résultat pour la Hollande. L’Angleterre doit la prospérité de son industrie aux étrangers qui s’y jetèrent à la suite des guerres de la réforme ; la Néerlande doit, en partie du moins, la splendeur de son commerce aux Juifs portugais. Le drapeau de la liberté religieuse y attirait tous ceux dont le vieux monde catholique ne voulait plus. Il en est résulté pour la Hollande une source de développement intellectuel et moral. Dans l’échelle de la vie physique, les animaux s’élèvent par l’addition de nouveaux organes ; de même, sur l’échelle des progrès sociaux, la constitution des races s’élève en se compliquant. Chacune d’elles apporte comme un membre nouveau à la civilisation. En Hollande, l’accession des élémens étrangers a donc été une bonne fortune pour le pays ; la liberté a été fécondée par ses propres forces et par les forces auxiliaires qu’elle s’assimilait. C’est de la somme des facultés spéciales, des dons différens venus de l’étranger, mêlés et combinés entre eux, rattachés d’ailleurs à la souche nationale, qu’est sortie au XVIIe siècle et plus tard la grandeur de la Hollande.

Cette liberté religieuse est restée un des traits caractéristiques des Pays-Bas. Ici, le protestantisme, quoique dominant, s’abstient de toute manifestation extérieure du culte : la rue est en quelque sorte athée. Il ne faudrait pas en conclure qu’il n’y eût point de foi : la Hollande est un des pays les plus religieux de la terre ; mais chez elle la religion est une affaire entre l’homme et Dieu. Il n’y a nulle part autant de sectes que dans les Pays-Bas, relativement à l’étendue du territoire ; nulle part aussi ces différentes communions ne vivent en meilleure intelligence. On a pris au sérieux cette parole de saint

  1. Il existe à la bibliothèque royale de La Haye un volume in-12 intitulé : Conseils aux réfugiés sur ce qu’ils devront faire à leur prochaine rentrée en France.