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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/794

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peuple. Si cet opium du Nord ne contribue pas au vague des idées, il pourrait du moins endormir le cerveau. Moins loquace et plus contemplatif que le Français du midi, le Hollandais est silencieux, mais il n’est point taciturne. Les peuples gais ne sont pas toujours les peuples heureux ; il en est parfois de l’homme qui rit comme de l’enfant qui chante en traversant un bois durant la nuit pour s’étourdir. En Hollande, on trouve ce que les penseurs nés dans les époques d’agitation morale n’atteignent jamais, ce que cherchait Dante, la paix. Il n’est pas rare de rencontrer, chemin faisant, sur de petites maisons où l’on donne à boire, cette enseigne : Pax intrantibus[1]. On dirait que la vie est comme l’onde des canaux, qu’elle ne coule pas. Soit illusion ou réalité, il nous a paru que l’heure sonnait ici plus lentement qu’en France, et elle chante avant de naître. Ces carillons produisent, à distance et sur l’eau, un effet difficile à décrire. Tout le caractère de la vieille Hollande est dans ces sonneries graves, dans ces voix éoliennes que les pères ont entendues et que les fils entendront après eux. À Utrecht, ville essentiellement protestante, l’heure chante un cantique selon le rit réformé. Cette suavité toute puritaine, ces groupes de notes que le clocher lâche dans le ciel comme une volée d’oiseaux, ces horloges qui enchantent le temps, tout cela est en harmonie avec les lignes calmes et reposées du paysage. Les jardins qui bordent l’eau sont entretenus, sablés, ratisses, peignés avec un soin extrême. Des arbres chargés de fruits varient agréablement le fond un peu monotone de la verdure. Tacite, en parlant de ces contrées basses et froides, dit : « Les richesses de l’automne leur sont inconnues ; ces peuples n’ont que trois saisons, l’hiver, le printemps et l’été. » En Hollande, l’art de l’horticulteur a créé une saison que n’avait pas indiquée la nature. L’homme a fait ici l’automne en introduisant les produits qui sont l’ornement et la couronne de cet âge de l’année. Dans la Hollande méridionale notamment fleurissent des treilles dont la prochaine récolte est déjà retenue pour l’Angleterre. Les jardiniers des Pays-Bas ont excellé de tout temps dans l’art de hâter la maturité des fruits par le moyen des couches et des châssis ; on leur attribue même d’avoir enseigné aux autres peuples le gouvernement des serres. Cet automne sous verre est riche en melons et en toutes sortes de fruits et de légumes qu’ignorait la Batavie.

En Hollande, les villes et les villages se touchent ; c’est une

  1. Ces débris de latinité se rencontrent à chaque pas en Hollande, et cependant les enfans y apprennent moins les langues moites que les langues vivantes. À Utrecht et à Leyde, villes universitaires il est vrai, on voit sur les maisons bourgeoises des écriteaux avec cette inscription : Cubiculum locandum. À La Haye, où il n’y a point d’étudians, nous avons trouvé un magasin sur lequel est écrit : Cibaria saluberrima.