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ornement de la fête, ce sont les Frisonnes. Leur costume, surtout leur coiffure, est d’un goût charmant et d’une propreté délicate. Elles font d’excellentes gauffres qu’elles promènent dans la ville sur des corbeilles. Les Hollandais se montrent aussi très avides de légumes confits dans le vinaigre : de jolies baraques étalent un grand luxe de bocaux rangés avec symétrie, et dans lesquels nagent des oignons, des concombres, des citrons, des crevettes. On mange toutes ces aigreurs avec des œufs. Comme la fête dure habituellement une semaine, c’est le samedi qu’on s’abandonne. Ce jour-là en effet, la joie hollandaise est un peu grosse et bruyante : cet entrain, ces danses nocturnes, ces rondes de Saba dans la rue, cette liberté de la fête qui mêle et efface toutes les classes, ces chants qui se prolongent jusqu’au jour, cet emportement des femmes qui contraste avec leur calme habituel, ces mystères que la nuit aime à cacher sous ses voiles, tout cela ressuscite les toiles des vieux maîtres qui ont célébré les bacchanales du Nord. À travers cette ivresse joyeuse, la naïveté des mœurs hollandaises ne se dément pas : on dirait une orgie dans le paradis terrestre. Tout un personnel d’hommes et de femmes est attaché au service des kermesses : ce personnel se déplace de ville en ville, et couche, comme autrefois les Scythes, dans des maisons roulantes. Cependant les kermesses de la Hollande sont en décadence : la facilité toujours croissante des relations commerciales, le développement des magasins et des boutiques, leur enlèvent de jour en jour toute raison d’être. Leur ancienne prospérité ne se maintient que dans certaines villes de la Frise, où les mœurs et les habitudes locales s’abritent derrière le Zuiderzée comme derrière le gardien des traditions. Il y a également dans la mythologie des Scandinaves une mer autour de laquelle rien ne change ; les hommes eux-mêmes n’y vieillissent pas.

Ce qui manque à la Hollande, ce sont les montagnes. Peut-être faut-il rapporter à cette cause, en partie du moins, le faible développement de l’architecture. La montagne est au paysage ce que le geste est à la physionomie. Dans les endroits où elle est absente, le sens architectural doit être restreint. En Hollande, l’art de bâtir s’est plutôt attaché à faire de jolies maisons que des édifices publics. Ici, chacun vit chez soi ; on adore les dieux lares. De petits jardins, cachés dans l’intérieur des maisons, dont les arbustes en fleur exhalent une odeur de félicité domestique, réunissent le soir toute la famille et quelques amis. Nous avons remarqué, surtout à Rotterdam, ces étroites portes, peintes en noir, par lesquelles on entre un à un comme dans un sanctuaire. Quand une personne tombe malade, son domicile est impénétrable. La sonnette se tait. On affiche sur la maison un bulletin de santé. Cette précaution écarte