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quelque nation qu’ils appartiennent, lorsqu’il s’agit de traiter un sujet religieux, charment et séduisent l’imagination plus sûrement que les peintres protestans. Owerbeck, placé en face de Cornélius, eût été une bonne fortune pour ceux qui aiment à trouver dans les faits accomplis la confirmation empirique des vérités démontrées par le raisonnement. Absent ou présent, Owerbeck doit peser dans la balance lorsqu’il s’agit de prononcer sur la valeur de l’école allemande. Ni Schnorr, ni Kaulbach, ni Schadow ne fourniraient des argumens aussi décisifs.

Les cartons de M. de Cornélius suffisent à nous donner une idée complète de sa manière. Nos réserves faites en ce qui concerne le choix des sujets, qui sans doute ne lui ont pas été imposés, nous louerons volontiers les facultés inventives qu’il a déployées dans l’expression d’un ordre de pensées qui semble se dérober à la peinture. Dans le carton des quatre cavaliers qui représentent la Peste, la Famine, la Guerre et la Mort, il y a de la grandeur, et la composition tout entière s’accorde avec la vision de l’apôtre. La nouvelle Jérusalem portée par douze anges, et parée comme une épouse pour son époux, se recommande par la grâce. Cependant je préfère à ces deux cartons, d’une nature si diverse, les deux prédelles où se trouvent figurées les œuvres de la charité chrétienne : visiter les prisons, consoler les affligés, montrer le chemin aux égarés, donner à manger à ceux qui ont faim et à boire à ceux qui ont soif. Tous les détails en sont traités avec une simplicité qui n’appartient qu’aux maîtres. Ces deux prédelles marquent la place de M. de Cornélius parmi les esprits les plus ingénieux de notre temps.

Quant au style de l’auteur, pour s’en faire une idée précise, il convient, je crois, d’étudier la grande figure assise qui occupe le centre de ses cartons. C’est là surtout qu’on peut découvrir le vrai caractère de son dessin. Que cette figure soit inspirée par les Sibylles de la Sixtine, je n’ai pas besoin de le prouver : l’idée de cette parenté se présente naturellement à toutes les mémoires ; mais si M. de Cornélius a pris au grand Florentin l’ajustement des draperies et le mouvement de la figure, il n’a pas écrit la forme à sa manière. Pour établir cette dissidence, il me suffit de signaler la cuisse et la jambe droite. Depuis la hanche jusqu’au genou, l’œil n’aperçoit qu’une surface plate, et la malléole du pied n’est pas même indiquée. Quand on prend pour modèles des types aussi élevés que les Sibylles de la Sixtine, on n’a pas le droit de simplifier à ce point la tâche qu’on s’est donnée ; l’infidélité de l’imitation est trop flagrante pour ne pas blesser tous les yeux familiarisés avec l’original. Le choix était dangereux, la lutte difficile ; mais, une fois le choix fait, une fois la lutte engagée, il fallait persévérer et ne pas lâcher pied. Il fallait tenter