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croire qu’à cette distance la physionomie du modèle perdra son caractère. La sculpture monumentale a des exigences toutes particulières : elle commande surtout l’exagération de certaines masses, qui s’amoindrissent et se simplifient par l’éloignement, et Rauch ne semble pas avoir songé à cette condition.

Quant au cheval de Frédéric, je ne saurais le prendre pour un cheval de bataille. C’est tout au plus un cheval de parade. Encore laisse-t-il beaucoup à désirer sous le rapport de la précision. À parler franchement, il ne vaut guère mieux que le cheval sur lequel Lemot a placé Henri IV. C’est la même raideur, la même symétrie dans les mouvemens. On dirait que l’auteur n’a jamais visité un haras, jamais assisté à une revue de cavalerie. Pour monter un tel coursier, pour le maîtriser et le diriger à sa guise, Frédéric n’a besoin ni de vigueur ni de science ; il est sûr d’être obéi sans recourir à l’éperon.

Le visage du roi, dont nous avons expliqué les défauts, et le caractère par trop paisible de sa monture ne sont pas les seules parties de cet ouvrage qui soulèvent de graves objections. La manière dont l’auteur a compris la décoration du piédestal se rattache à une doctrine radicalement fausse, à la confusion des lois de la peinture et des lois de la statuaire. Que signifient en effet les figures ronde-bosse placées autour du piédestal, sinon que Rauch a voulu faire de la sculpture pittoresque ? En Allemagne comme en France, cette doctrine compte de nombreux partisans. On appelle cela, au-delà comme en-deçà du Rhin, faire de la sculpture vivante. En modelant des figures ronde-bosse au lieu de modeler des bas-reliefs, Rauch a cru de bonne foi qu’il ajouterait à la vie, à l’expression des personnages. Pour ma part, je pense qu’il s’est trompé, et voici pourquoi je le pense. En premier lieu, ces figures ne font vraiment pas partie du monument ; en second lieu, elles offrent au spectateur une distraction dangereuse pour le personnage principal. Pour laisser à Frédéric toute son importance, il fallait choisir dans sa vie politique et militaire quelques épisodes caractéristiques, et les écrire en bas-reliefs sur les faces du piédestal. De cette manière les sujets accessoires n’auraient fait aucun tort au sujet principal ; les bas-reliefs auraient servi de commentaires à l’image du héros. En voulant animer le piédestal de sa statue, Rauch n’a réussi qu’à distraire l’attention. Ces figures, que je blâme parce qu’elles ne sont pas à leur place, révèlent chez l’auteur un talent très élevé : elles attirent et charment le regard par la vérité des mouvemens et la variété des physionomies ; mais le mérite même qui les recommande prouve la justesse de mes reproches. Si elles ne possédaient qu’une valeur secondaire, le principe qui les