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pratiquaient les peintres secondaires de l’école flamande. Elle a compris que la reproduction la plus littérale de la nature ne suffit pas à enchaîner l’attention. C’est pourquoi l’Allemagne tient une place à part entre les nations de l’Europe. Tandis qu’on s’empresse de tous côtés à supprimer le côté idéal de la peinture et de la statuaire, elle continue de mettre la pensée au-dessus de la forme. Elle proteste énergiquement contre les doctrines qui voudraient faire de l’ébauchoir et du pinceau les très humbles serviteurs de nos sens. Il est vrai qu’elle n’embrasse pas la tâche entière assignée aux arts du dessin ; il est vrai qu’en négligeant la forme pour l’idée, elle fait tort à l’idée même, qui pour séduire l’esprit a besoin de se présenter aux yeux sous un aspect attrayant. Cependant je ressens pour elle une profonde sympathie, parce qu’elle met le travail de la pensée au-dessus du travail de la main. Trop de gens chez nous sont disposés à ne voir dans le marbre animé par le ciseau, dans la toile douée de vie par le pinceau, qu’un mets friand destiné à réveiller nos appétits blasés. L’Allemagne comprend autrement le but de la peinture et de la statuaire, et sa protestation persévérante révèle chez elle une élévation de pensée qui chez nous devient plus rare de jour en jour. Quelles que soient donc les méprises de l’école allemande, il n’en faut parler qu’avec respect. L’excellence de ses intentions plaide pour l’imperfection de ses œuvres. Ailleurs, la vulgarité du dessein nous oblige à nous montrer sévère pour des œuvres dont la forme est plus séduisante.


GUSTAVE PLANCHE.