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des affinités manifestes, des conditions d’alliance nécessaires. Il y a seulement une difficulté, c’est la politique de la Prusse elle-même. Les combinaisons de l’esprit se heurtent parfois à la réalité. Quoi qu’il en soit, il y a un fait certain que démêle avec pénétration l’auteur de ce livre, c’est que l’Europe est malade ; elle est malade des doctrines qui la dominent, du vice de son organisation, et c’est ce qui fait le danger de la prépondérance russe. Qu’on remarque bien en effet que dans cet état, tel qu’il existe depuis longtemps, tout a été favorable à la Russie. Tandis que l’Europe s’affaiblissait et se déchirait par les révolutions, la Russie restait intacte et dominée d’une seule pensée. Tandis que le continent se débattait dans des rivalités et des luttes nées de combinaisons arbitraires, l’empire des tsars conservait une force nationale prête à intervenir partout et à poursuivre tous les desseins. Il ne peut donc suffire aujourd’hui d’opposer des armées à la Russie : il faut la combattre par des doctrines morales qui raffermissent la société occidentale, par une organisation équitable et efficace. Là est l’arme la plus sûre, là est la condition de la sécurité du continent et de son indépendance. Quant à ceux qui voient dans la révolution le seul moyen de lutte, ils ne font que précipiter une maladie qui a fait toute la force de la Russie.

Il y a donc, on pourrait le dire, dans la situation de l’Europe, une question générale qui est du domaine des publicistes, des écrivains, et il y a une question tout actuelle et pratique qui est du ressort des gouvernemens : c’est la direction de la guerre dans les conditions où elle a été entreprise et où elle se poursuit. Cette question a été bien des fois agitée depuis quelques mois dans le parlement anglais, et a même suscité plus d’un embarras au cabinet de Londres ; jamais elle ne s’est offerte sous un aspect plus imprévu que dans une discussion soulevée ces derniers jours par lord John Russell à l’occasion des affaires d’Italie. Lord John Russell joue en vérité un étrange rôle politique ; il ressemble encore plus à une âme en peine qu’à un homme d’état. Il cherche visiblement une position, une attitude qu’il ne trouve pas, ne sachant être ni partisan de la paix, ni partisan de la guerre, et réussissant à ébranler tous les cabinets dont il fait partie, sans parvenir à formuler une pensée politique précise. Quelle est l’opinion de lord John Russell depuis sa reti-aite du ministère à la suite de la mission qu’il a remplie à Vienne ? Il est fort à craindre que ce ne soit tout simplement une certaine humeur contre lord Palmerston, un certain besoin de récriminations, assez vagues par le fait. Rien n’est plus curieux assurément que le discours prononcé par lord John Russell à rapjiui de sa motion ; on ne sait au juste si c’est une vengeance, ou si c’est un commencement d’évolution vers le parti de la paix. Le fait est que l’ancien plénipotentiaire à Vienne est revenu avec une intention assez équivoque sur les propositions de l’Autriche, qu’il a successivement soutenues et abandonnées pour s’en faire de nouveau le défenseur posthume. Où était la nécessité de rouvrir une discussion sur une question jugée ? Lord John Russell a éprouvé le besoin d’insinuer que le représentant de la Porte aux conférences, homme très capable et très intelligent, avait approuvé les propositions de l’Autriche, que dès lors la Turquie était désintéressée : d’où il suit que l’Angleterre et la France ne continuaient plus la guerre que pour une question d’honneur militaire. — Lord Palmerston n’a