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cèdent toujours dans la nature à la puissance formidable et lente des eaux comprimées. Une partie des montagnes fut emportée. Ce premier bond du Rhin (car c’était lui) dans la mer fut terrible. L’ouverture par laquelle il s’élança est encore là, visible, béante : cette ouverture, beaucoup plus considérable que le cours actuel du fleuve, montre par quelle masse d’eau la barrière primitive fut forcée. Les traces d’une si prodigieuse débâcle ne sont point encore effacées sur le sol de la Néerlande : l’œil les suit pour ainsi dire au loin ; les ruines de la muraille du Rhin ont été portées de deux côtés à des distances énormes. Les débris de l’immense brèche ouverte par le fleuve ont servi à former des provinces entières. Le sol de la Gueldre, de l’Over-Yssel et de l’île du Texel est jonché de cailloux roulés, dans lesquels on reconnaît les fragmens des roches de basalte, de granit et de porphyre qui bordent, en Allemagne, le cours du fleuve. Ces Titans du règne minéral ont été foudroyés par l’explosion des eaux.

On le voit, le Rhin s’est fait lui-même ; il s’est creusé parmi des décombres la voie orageuse qui devait le conduire à des formations nouvelles. Ici nous sortons de la nuit des âges, nous sortons de la géologie conjecturale pour entrer dans la géologie positive. Partout les fleuves tracent la physionomie des contrées qu’ils traversent ; mais cette action exercée par les cours d’eau n’éclate nulle part si manifestement que dans la configuration du sol néerlandais. On a dit que l’Égypte était un présent du Nil ; on pourrait dire, avec non moins de vérité, que la Hollande est un présent du Rhin. Il serait pourtant injuste de rapporter au Rhin seul l’honneur de cette formation géologique. L’ensemble des eaux courantes du pays constitue, à travers mille caprices, les deux côtés d’un triangle dont l’Océan est la base. La terre, composée en grande partie d’alluvions fluviatiles, et qui se trouve renfermée dans ces lignes d’eau, présente ainsi la figure plus ou moins régulière de la lettre grecque Δ. La Hollande est un delta du Rhin, de la Meuse et de l’Escaut.

La plupart des voyageurs se sont contentés de décrire l’état actuel du Rhin ; il y aurait une série d’études nouvelles à ouvrir, il y aurait à faire l’histoire de ce fleuve. Nous venons de voir que le Rhin n’avait pas toujours existé : il n’est pas maintenant ce qu’il était à sa naissance ; la direction de ses eaux et le niveau de son lit ont varié depuis les temps historiques. L’homme, qui vit peu, se figure aisément que la nature ne change pas ; mais celui qui étend sa pensée dans les âges et qui consulte les monumens de la science ne tarde point à reconnaître qu’il n’y a pas dans le monde physique de formes éternelles. Le cours des fleuves est lui-même temporaire, provisoire, soumis à toutes les causes de variation qui influent sur l’économie