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recueillir presque sans travail et sans peine les fruits d’une terre privilégiée. »

Dans cette riche et curieuse région, ce qui attire tout d’abord l’attention de nos voyageurs, c’est le mouvement commercial qui se fait sur les frontières de la Chine. Les rapports des Russes avec les Chinois datent du XVIIe siècle. Après avoir poussé leurs conquêtes en Sibérie jusqu’à l’est et au sud du lac Baikal, les Russes comprirent quelle était l’importance politique du fleuve Amour, le plus septentrional des fleuves de l’Asie qui communiquent avec l’Océan-Pacifique, et ils élevèrent sur ses bords d’importantes forteresses, entre autres Albasin et Kamarski. Cela se passait peu de temps après la révolution qui venait de porter la race des Tartares-Mandchoux sur le trône de la Chine (1644). Tout occupés d’abord de la soumission de leur conquête, les Mandchoux ne purent s’opposer à ces établissemens des Russes ; mais une fois la Chine pacifiée, ils envoyèrent le général Kam-hi, à la tête de troupes considérables, prendre possession des contrées qu’arrose le fleuve Amour. Les deux empires se trouvèrent en présence, et les hostilités s’ouvrirent vers 1680. Repoussés à Kamarski, les Chinois réussirent pourtant à arrêter les progrès de leurs ennemis, et quelques années après ils s’emparaient d’Albasin, chassaient les Russes, rasaient leurs forts et emmenaient avec eux plusieurs milliers de captifs. Les Russes envoyèrent une seconde expédition qui reprit les anciennes conquêtes et construisit de nouveaux forts ; la lutte recommença, les Chinois furent battus. C’est à la suite de ces événemens que fut signée à Nertchinsk par le comte Golovin et les envoyés de l’empereur de la Chine une première convention où les limites des deux empires étaient provisoirement fixées. Le traité définitif, conclu seulement en 1727 après de longues négociations, régla la délimitation des frontières telle qu’elle existe aujourd’hui.

On peut lire ce curieux document, traduit par Jules Klaproth dans ses Mémoires sur l’Asie, et l’on verra avec quel soin les diplomates de l’empire du Milieu prévenaient toute immixtion des Russes dans leurs affaires. Klaproth nous apprend que les Chinois considèrent comme tributaires de leur empire tous les peuples qui concluent des traités avec eux ; les annales officielles de l’empire chinois énoncent formellement cette doctrine, et c’est ainsi que l’Espagne est soumise depuis 1576, la Hollande depuis 1653 et le pape depuis 1725. La Russie a fait sa soumission après l’Espagne, après la Hollande et le saint-siège, l’an 1727, sous le règne de Catherine Ire. Si le traité traduit par Klaproth n’exprime rien de semblable, quelle naïve arrogance dans les précautions que prend le Céleste-Empire pour empêcher les communications des Russes avec ses peuples ! Mais les Chinois avaient affaire à une diplomatie déjà très inventive et très habile ;