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steppes immenses qui séparent l’Oural du Volga, lorsque M. Hansteen, faisant route d’Orenbourg à Astrakhan, eut la curiosité de visiter le prince kirghise. N’était-ce pas là un spectacle digne d’étude ? et quelle occasion meilleure pouvait-il souhaiter ? Muni des recommandations du gouverneur d’Orenbourg, il arrivait chez le khan d’une race mongole comme un représentant du tsar lui-même. Après avoir traversé les lignes des Cosaques et assisté sur les bords de l’Oural à la curieuse pêche des esturgeons, espèce de pêche miraculeuse qui rapporte tous les ans des sommes énormes à cette riche colonie militaire, M. Hansteen arriva à la limite où commencent les steppes concédées aux Kirghises. Il envoya ses lettres à Dschanger-Khan, et attendit sa réponse dans un poste de Cosaques commandé par le lieutenant Loginov. Ce lieutenant était un homme d’esprit, et sa jeune femme, Ekatarina Karamsin, nièce du célèbre historien russe, parlait le français avec une rare facilité. Ce fut une bonne fortune pour le voyageur, ce fut une grande joie aussi pour le jeune ménage de recevoir la visite d’un homme tel que M. Hansteen, au milieu de ces steppes solitaires où l’on ne voit que des Kirghises gardés par des Cosaques. Avant la réponse du khan, M. Hansteen reçut maintes visites d’une partie de sa famille qui résidait aux environs. C’étaient le frère du khan, le sultan Tauke, et son oncle, le sultan Tschuke Nuraleitch, qui venaient présenter leurs hommages à l’illustre étranger et lui demander ses ordres. Enfin, au bout de cinq ou six jours, un messager kirghise arriva à cheval, apportant à M. Hansteen une lettre de Dschanger-khan. La voici, telle que le voyageur la donne. Elle était rédigée en russe ; on verra que les formules naïves de l’hospitalité orientale et les locutions officielles de l’Europe s’unissent d’une façon singulière dans le style du souverain tartare.


« Bienveillant seigneur, Christophe Christophorovitch !

« Informé que vous avez résolu, vous et M. le lieutenant Due, d’aller à Astrakhan par la steppe qui m’est soumise, je m’empresse de vous engager à passer par cette résidence et à séjourner dans ma demeure. Autant il me sera agréable d’écarter en voire faveur les obstacles de ce long et pénible voyage, autant j’aurai de plaisir à faire connaissance avec vous. Pour vous rendre le chemin plus commode, j’ai ordonné à mon frère le sultan Tauke Bukejevski de vous procurer les kibitkes, les guides, en un mot tout ce qui pourra vous être utile ou agréable pendant un voyage aussi difficile. Dans l’attente de votre arrivée, je vous donne l’assurance de ma considération, de ma bonne volonté à votre égard, et du très grand honneur que j’aurai toujours à être, bienveillant seigneur,

« Votre serviteur très dévoué,

DSCHANGER-KHAN.

« Fait dans les steppes de sable de Dschaskus. »