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Au-dessus de ces divinités particulières à chaque famille et servies par des magiciens, il y a le dieu supérieur, le grand dieu, Turum, qui gouverne tous les mortels et règle les destinées du monde. Si ce n’est pas à lui qu’on adresse les prières, c’est qu’aucune prière ne peut modifier les décrets de sa volonté immuable. Sans doute il suit l’homme en tout lieu, ni le bien ni le mal ne lui échappent, il ne dédaigne pas de rendre justice aux plus humbles ; mais sa majesté est incommunicable, et l’inflexible justice est sa règle. Pourquoi lui offrir des sacrifices ? La seule chose qui ait de la valeur à ses yeux, c’est le mérite intérieur de l’homme (Ihm gegenüber gilt nichts als das innere Verdienst des Menschen). Les Ostiakes, sans trop s’inquiéter de la logique, en concluent qu’il est d’autres divinités plus accessibles à l’homme, et qu’on peut fléchir par des offrandes. Chaque race, chaque famille a les siennes ; il arrive souvent aussi que tel individu a ses divinités particulières. Les idoles des races, les plus brillantes, comme on le pense bien, sont de grossières statues de bois, revêtues d’étoffes écarlates et couvertes de colliers et d’ornemens. La cabane qui leur sert de temple est ordinairement placée dans des lieux peu fréquentés, inconnus des Russes et des tribus voisines. Si les familles n’ont pas de huttes, on les place sous des tentes, quelquefois même en plein air, mais dans des retraites profondes où on les croit en sûreté. M. Castrén, dans son voyage à Obdorsk, ayant eu à traverser une forêt, se trouva tout à coup au milieu d’une assemblée d’idoles ; autour de ces statues, sur les branches et jusqu’à la cime des arbres, on voyait des peaux de rennes avec leurs têtes garnies de ramures. Non loin de là campait une pauvre famille d’Ostiakes dont ce bois sacré était la propriété commune.

Cette multitude de dieux que les familles se créent selon leurs caprices ou leurs besoins semble rappeler çà et là, sauf le charme de l’invention, le polythéisme des Hellènes. Il y a les divinités qui protègent les rennes, il y a celles qui font tomber la proie sous les flèches du chasseur, il en est d’autres qui règnent sur les grands fleuves et qui procurent les pêches miraculeuses ; celles-ci guérissent les malades, celles-là accordent aux femmes la fécondité. Les Ostiakes aiment leur religion et la défendent obstinément contre les Russes ; dans les villes même, à Obdorsk par exemple, il y a peu de convertis. Une chose triste à signaler, c’est que la conversion des Ostiakes au christianisme gréco-russe est amenée ordinairement par les motifs les plus grossiers. L’eau-de-vie des Russes est sur ces sauvages un puissant moyen de séduction. M. Hill a consigné ce fait à propos des tribus mahométanes de la Sibérie du sud ; M. Erman nous donne le même renseignement sur les Ostiakes. « À Répolovo,. dit le voyageur prussien, toutes les huttes étaient vides. On nous dit que les hommes étaient allés à la pêche, et que les femmes