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romantiques légendes du Brocken et les légions de Méphistophélès sur la montagne ensorcelée.

Les esprits ou tadebsios qu’interroge le magicien ont naturellement les allures des Samoyèdes ; ils sont rusés, capricieux, fantasques ; ils aiment à égarer les tadibes par de faux oracles, et s’ils ont affaire à des vieillards, alors surtout ils sont impitoyables et se livrent aux plus impertinentes moqueries. Pour les dompter, il faut des corps jeunes et vigoureux, d’autant plus que le tadebsio ordonne souvent au tadibe de se martyriser à coups de couteau. Ces sortes de martyres sont moins fréquens aujourd’hui ; autrefois le nombre en était considérable, et les légendes parlent des premiers tadibes qui s’enfonçaient de longues aiguilles dans le corps, se faisaient percer de flèches, se coupaient en morceaux et revenaient ensuite à la vie. Il est encore des fanatiques qui essaient de fléchir les esprits invisibles par ces procédés agréables. M. Castrén entendit raconter une histoire de ce genre qui venait de se passer dans un village voisin : un tadibe se fit tirer un coup de fusil par le croyant qui le consultait ; telle était, disait-il, la volonté des esprits. On obéit sans hésiter, et le tadibe tomba raide mort. Le tadibe n’a pas besoin d’études ; on devient tadibe par droit héréditaire. Tel est le principe selon M. Castrén : magus non fit, sed nascitur. La seule éducation du tadibe est celle-ci : quand il a l’âge voulu pour participer aux mystères, on lui raconte des légendes miraculeuses, on lui fait battre le tambour, et pendant que les baguettes du disciple vont et viennent sur l’instrument sonore, un des maîtres lui frappe longtemps de petits coups sur la tête ; alors l’enfant voit apparaître la légion des esprits, il est consacré, il est tadibe ! Le tambour de peau de renne est l’instrument obligé du tadibe ; c’est le son du tambour qui l’exalte et l’emporte au pays des esprits. Ces tambours sont ordinairement très ornés. Le vêtement du tadibe est une chemise de peau bordée avec du drap rouge. Le plus souvent c’est à l’occasion d’un malade à guérir ou d’un renne perdu à retrouver que le tadibe est appelé à exercer son art. Il s’agenouille, bat du tambour et psalmodie ses incantations grotesques, le visage couvert d’un drap rouge pour montrer qu’il ne voit que par les yeux de l’esprit. M. Castrén a recueilli quelques antiques légendes des tadibes, et il s’en trouve dans le nombre qui sont empreintes d’une certaine poésie. En voici une que lui racontait une vieille magicienne :


« Aux premiers jours du monde vivait sur la terre un tadibe nommé Urier. Urier était le tadibe des tadibes, le sage des sages, le médecin des médecins, le voyant des voyans. C’était un maître comme notre temps n’en produit plus. Voulait-on rattraper un renne perdu, retrouver un trésor dérobé, rendre la santé à un malade, obtenir la richesse et le bonheur, c’était Urier qu’il fallait consulter. Urier possédait d’immenses troupeaux de rennes,