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ces aversions mal dissimulées, pour que la faveur s’éloignât de Saint-Simon ; mais on dirait qu’il se plaît à braver la foudre. À côté du trône, presque sur le trône même, il se suscite des ennemis, et quels ennemis ! Mme de Maintenon n’est pas seulement pour lui la dernière des favorites, elle est surtout l’épouse clandestine du roi de France : à ce double titre il la hait, et il ose le laisser voir. Non content d’irriter son orgueil, il fait plus, il blesse ses plus chères affections par une hostilité déclarée contre ces princes illégitimes dont elle a élevé la jeunesse et sur qui s’accumulent chaque jour de scandaleux honneurs. L’ennemi le plus acharné des bâtards, c’est Saint-Simon en effet. Celui qui, à chaque degré qu’ils franchissent pour s’élever vers le trône, à chaque privilège nouveau qui leur est conféré, jette le cri d’alarme dans les rangs de la pairie ; celui qui organise la résistance, provoque les protestations, dresse les manifestes, c’est toujours Saint-Simon. Partout le duc du Maine trouve devant lui cet infatigable adversaire pour lui contester ses honneurs et disputer la route à son ambition.

Ce n’est pas au surplus avec le duc du Maine seul que Saint-Simon est en lutte. Il a des contestations avec le parlement pour les droits des ducs et pairs ; il a des procès avec les ducs et pairs pour des questions de date et de préséance ; il a des procès avec les Bouillon, avec les Rohan, avec les princes de Lorraine pour leurs prétentions à primer la pairie. Régler les rangs, discuter les prérogatives, quereller les généalogies, c’est sa grande préoccupation, et, on a pu le dire, sa manie. S’il y avait au monde une chose profondément antipathique à Louis XIV, c’était sans doute cet esprit d’opposition, cette humeur contentieuse. Habitué à ce que tout fît silence devant sa grandeur et s’inclinât devant sa volonté, il supportait impatiemment tout ce qui ressemblait à une résistance ou seulement à une prétention personnelle. Qu’était-ce donc quand ce semblant d’opposition, quand ces velléités de résistance s’adressaient aux objets de son affection ou de ses préférences paternelles ?

Une circonstance futile en apparence combla la mesure. Saint-Simon, blessé de n’avoir pas été compris, malgré ses droits d’ancienneté, dans une promotion de brigadiers, donna sa démission. Le maître ne pardonnait point qu’on le quittât, et de ce jour la disgrâce de Saint-Simon fut complète. Plus d’une fois, à force de hardiesse et d’habileté, il saura rétablir pour un temps ses affaires auprès du roi ; mais, en dépit de ces retours passagers, sa fortune ne se relèvera jamais. Louis XIV l’estime, l’apprécie, mais ne l’aime point, il a beau faire d’ailleurs, sa nature est plus forte que son ambition. Vainement déploie-t-il à l’occasion toutes les ressources d’un esprit souple et délié ; vainement sait-il, quand il le faut, parler