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famille. Je regarde comme très vénérables nos bons usages d’autrefois ; pour moi, ce sont les lois mêmes de la sagesse et de l’honneur qui font durer les familles et les sociétés. Bref, on ne se marie pas pour soi, mais pour les familles.

— C’est cela, c’est cela ! s’écria la tante. Ah ! monsieur le curé, comme vous tournez ces choses ! Je savais bien que je n’avais pas tort. Voilà bien mes opinions, mais je n’aurais jamais su en donner comme vous les raisons. Ah ! si Jean-de-Dieu pouvait vous entendre !

Elle appela son frère du fond du jardin. Le lieutenant arriva.

— Ah ! monsieur le curé, si vous vouliez recommencer pour mon frère !

Le curé répéta mot pour mot son exorde, puis continua : — Il faut donc regarder avant tout à la pureté du sang, et les braves gens doivent s’allier entre eux, afin que rien n’altère les bonnes traditions des familles. Le reste pèse peu. Il y a d’autres petites convenances dont il faut tenir un certain compte, mais je vous ai dit l’essentiel. Voilà les vrais principes, et gardons-nous bien de les tourner à la vanité. Donc, puisque ces jeunes gens s’aiment si honnêtement, et que le mariage convient à M. Cazalis, je ne vois pas de raisons plausibles pour s’y opposer.

— Lui, épouser ma nièce ! Oh ! monsieur le curé, y pensez-vous ? le Sendric !

— Eh bien ! quoi, demoiselle Blandine, qu’avez-vous à lui reprocher ?

— Oh ! je ne lui en veux pas, dit la tante, loin de là ! et je suis disposée à faire beaucoup pour lui, s’il veut partir. Ah ! si ce n’était la famille !

— La famille ? dit le curé ; mais je ne vois pas ce que nous pourrions désirer de mieux. Plût au ciel que toutes nos vieilles maisons valussent les Sendric !

— Y pensez-vous, monsieur le curé ? Mais nous sommes des Cazalis, monsieur le curé, des Cazalis, entendez-vous ? des vrais ! Et par notre aïeule Limbert nous tenons aux grands Limberti d’Italie. Beaucoup de familles ont ainsi laissé l’i en venant avec les papes dans notre Comtat. Vous n’êtes pas du pays, et peut-être ne savez-vous pas ce que nous sommes, ce que nous valons. Nous ne sommes pas des nobles, mais il y a force gentilshommes du pays, et des titrés, qui ne nous valent pas pour la naissance, pour l’ancienneté. Savez-vous que nous comptons dans nos aïeux six consuls, trois chanceliers de rectorie, un vice-recteur évêque ?

— Un évêque dans vos aïeux ! dit le curé, qui aimait à rire.

— Oui, certes, répondit étourdiment la tante, et de plus deux podestats en Italie, des juges majeurs en Béarn (car il y a deux