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nous, nous aurons toujours une préférence marquée pour les caractères où cette barbarie n’est pas entièrement effacée, et pour prendre des exemples, nous avouons qu’un bandit comme Fernand Cortez nous inspire moins de répulsion qu’un roué élégant comme le duc de Richelieu, et qu’un persécuteur comme le duc d’Albe nous est plus sympathique qu’un libéral comme M. de Talleyrand.

Nous ne sommes donc pas étonné des sympathies et des antipathies également violentes qu’inspire le XVIe siècle. Nous sommes tolérans, les hommes de ce siècle étaient l’intolérance même ; nous sommes civilisés, ils étaient à demi barbares ; nous réglons notre conduite d’après des formules établies, ils s’abandonnaient à toutes les inspirations de leur conscience et de leur imagination ; nous avons confiance dans la société, ils étaient de farouches individualistes. Mais ceux qui ne croient qu’à demi à toutes les choses modernes, ceux-là ont quelque chose qui les rendra toujours plus sympathiques au XVIe siècle que les hommes qui ont en leur époque une confiance entière.

M. Kingsley est un enthousiaste de l’époque d’Elisabeth, et les opinions que nous avons exprimées se rapprochent, croyons-nous, beaucoup des siennes. Nous ne le contredirons pas, seulement nous lui ferons deux très petites chicanes. Son enthousiasme est profond, senti ; il manque de largeur, d’impartialité et d’étendue ; ses admirations sont trop restreintes et trop exclusives. Le bien et le mal n’étaient pas aussi absolument séparés qu’il le croit au XVIe siècle ; l’Espagne ne représentait pas autant la puissance du démon, et l’Angleterre le bon principe, qu’il le dit. L’Angleterre n’était pas absolument peuplée d’hommes religieux, de femmes modestes et accomplies, de braves et élégans gentilshommes, de savans sans pédantisme. D’un autre côté, il faut de la bonne volonté pour voir dans l’Espagne du XVIe siècle une incarnation du démon. Nous trouvons au contraire chez cette nation, à cette époque, un développement singulier de l’idée qu’un certain philosophe cher à M. Kingsley nomme l’idée du divin. Ce développement ne fut ni fécond ni rationnel, il manqua d’élévation et de pureté ; il était en contradiction avec la tendance générale de l’esprit humain, mais il fut singulièrement intense, profond et naïf. Le catholicisme espagnol du XVIe siècle fut sans doute une expression malheureuse d’une idée éternellement vraie, mais il fut bien réellement une expression de cette idée. Il entra beaucoup de mélange, beaucoup de passions de la chair et du sang, beaucoup des pires sentimens terrestres, dans ce mouvement religieux si original, mais en somme la foi, la foi profonde et sincère, était au fond. Tout n’était point de la chair et du sang dans François Xavier et Thérèse d’Avila, — M. Kingsley l’avouera