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naturel, leur donna sous différentes formes des bénéfices dont ils eurent lieu de s’applaudir. Aujourd’hui on dessèche volontiers l’eau des tourbières basses dès que l’extraction de la tourbe est terminée. Ces champs ou ces prairies, délivrés des eaux qui les couvraient n’en restent pas moins sujets, dans les temps de pluies, à des inondations réitérées. Il est donc nécessaire, même après le dessèchement, de les pourvoir de moulins qui travaillent à les maintenir. L’entretien de ces moulins et des hommes qui les font agir est une charge considérable. Il ne faut donc plus s’étonner qu’en Hollande, où l’agriculture ne se défend que par des moyens artificiels contre un ennemi toujours présent, le prix des céréales et des autres objets de consommation soit relativement élevé. Ces fouilles présentent un autre ordre d’inconvéniens. Le sol bas de la Néerlande est rendu plus bas encore tous les jours par les travaux qui s’exécutent dans les tourbières : si les vaillantes digues élevées contre les hautes marées venaient par malheur à céder, et si la mer s’emparait de ces cultures situées à plusieurs pieds au-dessous de son niveau, le désastre serait terrible, irréparable. Il faudrait du moins des années et de prodigieux efforts pour ramener à la lumière ces champs engloutis.

On a vu extraire et préparer la tourbe dans les tourbières hautes, puis dans les tourbières basses ; il reste à la suivre sur le marché. Les eaux du Waal, du Leck et de la Meuse sont perpétuellement sillonnées par de longs bateaux que les Hollandais appellent someveusen, et qui transportent le combustible national. D’autres bâtimens d’une plus grande taille, construits dans les provinces voisines des tourbières, naviguent sur les canaux de la Frise, de la Groningue et de l’Overyssel ; plusieurs d’entre eux traversent même le Zuiderzée ; ils sont connus sous le nom de turf-potten. Leur forme est ancienne et historique. C’est avec de tels bateaux que les Hollandais ont battu dans le golfe la Flotte des Espagnols. Les bateliers vivent avec leur famille, pendant toute l’année, dans ces maisons de bois, et transportent d’un lieu à l’autre leurs affections, leurs mœurs, leur foyer domestique. Parvenue au lieu de destination, la tourbe est déchargée par des porte-faix ou par les hommes du bateau, quelquefois même par les femmes. C’est une scène intéressante ; il est curieux de voir comme les carreaux de tourbe sont rangés avec ordre dans ces magasins flottans. Cette construction ressemble à celle d’une maison recouverte d’un toit angulaire. Deux hommes emplissent dans le bateau des corbeilles qu’ils passent à deux autres hommes et à deux fortes femmes debout sur le quai. Les tourbes sont alors versées dans une mesure en bois. Cette tonne contient ordinairement de 36 à 37 pièces de tourbe pesante pour les fabriques, de 48 à 50 tourbes