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interprété selon Delolme, — l’Angleterre anglo-normande en un mot. Avancez dans le nord, et là vous risquez fort de rencontrer une autre Angleterre, avec une manière beaucoup plus avancée d’interpréter la théorie des trois pouvoirs. Plus d’Anglo-Normands : des Saxons complets, indomptés par l’aristocratie et la force morale des classes cultivées, hardis, actifs, batailleurs, anarchiques; point de culture intellectuelle et oiseuse, un grand sens pratique : l’éducation que donne l’habitude des grandes affaires, et pour toute érudition une connaissance exacte et complète de l’état de tous les marchés du monde. Point de vieilles villes aux souvenirs historiques; des villes toutes neuves qui avaient longtemps attendu en germe que leur jour vînt d’éclore, et que le XIXe siècle a lancées dans le monde; — pour classes supérieures, des bourgeois durs, infatigables et vaillans, toujours la lorgnette à l’œil, comme un général d’année, pour suivre la position ou la manœuvre du marché français, américain ou allemand, observant toujours le vent comme le marin, pour savoir d’où vient que les cotons haussent si fort ou que les laines subissent une telle dépréciation. Les doctrines qui ont cours dans cette contrée ne sont plus les ingénieuses théories libérales, mais le radicalisme dans toute sa puissance, — démocratie à l’américaine chez les bourgeois et les patrons, tendances socialistes chez les prolétaires. Une économie politique reposant uniquement sur le commerce et en vue du commerce, une philosophie politique, un nouveau droit des gens fondé sur la paix et en vue de la paix sont nés et ont prospéré dans ce pays, comme chacun sait. Là aussi l’église anglicane est moins puissante que dans le sud, et les dissidens sont plus nombreux. C’est une Angleterre toute nouvelle qui se trouve en présence de la vieille Angleterre, qui résiste et refuse de laisser la Grande-Bretagne perdre son caractère distinctif et devenir une nouvelle édition des États-Unis, une Angleterre que l’industrie a créée, que le bill de réforme a émancipée, que le rappel des corn laws a enivrée d’orgueil, et que la guerre de Crimée a momentanément abaissée et amoindrie.

Au commencement du roman, nous sommes dans le sud, dans l’intérieur d’un clergyman dont le visage pâle et inquiet accuse des souffrances dont personne autour de lui n’ose lui demander la cause. Ceux qui connaissent l’histoire de M. Hale ne peuvent pas être étonnés de cette apparence maladive, que son caractère explique assez. M. Hale a toujours été un homme singulièrement timide, sensible à l’excès, scrupuleux et soigneux de son âme comme l’hermine de sa fourrure, un esprit d’une délicatesse morale infinie enveloppé dans un corps frêle et nerveux : deux bonnes conditions pour beaucoup souffrir et beaucoup sentir, et pour absorber jusqu’à la dernière goutte le calice d’amertume et de miel qui compose la vie. M. Hale