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situation n’est guère meilleure. Pendant que les grandes marines du globe voyaient leur matériel naval doubler et tripler, la notre est demeurée presque stationnaire. Depuis 1830, les États-Unis ont passé du chiffre de douze cent mille tonneaux à celui de cinq millions, l’Angleterre a franchi celui de quatre millions, nous n’avons pu atteindre un million de tonneaux. Ici la question s’élève ; la marine n’est pas seulement un élément de richesse, elle est aussi un élément de force. Naguère, quand il s’est agi d’envoyer dans la Baltique et dans la Mer-Noire des escadres aux mâts desquelles flottait notre pavillon, les réserves de notre personnel ont été épuisées au point d’enlever à la pêche et à la navigation lointaine presque tous les bras valides qui les défrayaient. À peine est-il resté sur nos côtes et pour la manœuvre des bâtimens du commerce, un petit nombre d’hommes échappés à ces levées, et dont il a fallu payer les services à grand prix. N’est-ce pas là un indice que, dans le cours d’une longue paix, notre mouvement commercial n’a pas eu tout le développement désirable, et que le principal signe d’une situation florissante, l’activité extérieure, est celui qui nous fait le plus défaut ?

S’il en fallait d’autres preuves, on n’aurait que l’embarras du choix. À nos portes même, il est des marchés que la nature semble nous avoir réservés, et qui, de temps immémorial, étaient le domaine exclusif de la France, par exemple ceux du Levant, de l’Italie et de l’Espagne. Nous les avons en partie perdus, et bientôt ils nous auront complètement échappé. Sur les marchés du Levant, c’est l’Autriche qui prend le pas ; sur les marchés de l’Italie et de l’Espagne, c’est l’Angleterre. À quoi cela tient-il ? Aux habitudes nonchalantes de notre industrie, et, il est affligeant de le dire, aux fraudes qui la déshonorent. Dans beaucoup de pays, nous faisons, sous ce rapport, une assez fâcheuse figure. Tandis que les marchandises anglaises sont acceptées les yeux fermés et sur la marque d’origine, les nôtres, si on ne les repousse pas absolument, sont l’objet de défiances profondes et d’un contrôle minutieux. Le mal, en plus d’un cas, a été si loin, que du sein même des industries il s’est élevé des voix pour supplier le gouvernement d’exercer sur les produits expédiés au dehors une sorte de police, et de ne point permettre que le nom de la France lut désormais compromis par des abus aussi crians.

La main du gouvernement ! C’est toujours là qu’en reviennent nos industries. S’agit-il de concurrence étrangère ou de fraudes professionnelles, l’état est mis en demeure d’agir ; on dirait que nos industries n’ont point de vie propre et renoncent à se protéger elles-mêmes. De tous les symptômes de faiblesse, il n’en est point de plus prononcé que celui-là. N’a-t-on pas vu le gouvernement, dans une occasion récente, se porter arbitre entre les consommateurs et les