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la reine lui a refusé de mettre Châteauneuf à la tête du gouvernement, elle a dit qu’elle ne pouvait le faire présentement, et qu’il fallait avoir égard à moi, d’où Mme de Chevreuse a conclu que la reine avait beaucoup d’estime et d’affection pour Châteauneuf, et que, quand je ne serai plus là, la place est assurée à son ami. De là leurs espérances et les illusions dont ils se nourrissent. » — « L’art de Mme de Chevreuse et des Importans, c’est de faire en sorte que la reine n’entende que des discours favorables à leur parti et dirigés contre moi, et de lui rendre suspect quiconque ne leur appartient pas et me témoigne quelque affection. » — « Mme de Chevreuse et ses amis publient que bientôt la reine appellera Châteauneuf, et par là ils abusent tout le monde et portent ceux qui songent à leur avenir à l’aller voir et à rechercher son amitié. On excuse la reine du retard qu’elle met à lui donner ma place, en disant qu’elle a encore besoin de moi pendant quelque temps. » — « On me dit que Mme de Chevreuse dirige en secret Mme de Vendôme (sainte personne qui avait du crédit sur le parti dévot, les évêques et les couvens), et lui donne des instructions, afin qu’elle ne se trompe pas, et que toutes les machines employées contre moi aillent bien à leur but. »

Ce dernier passage des carnets prouve que Mme de Chevreuse, sans être dévote le moins du monde, savait fort bien se servir du parti dévot, qui était très puissant sur l’esprit de la reine et donnait à Mazarin de grands soucis.

La plus grande difficulté du premier ministre était de faire comprendre à la reine Anne, sœur du roi d’Espagne, et d’une dévotion tout espagnole, qu’il fallait, malgré tous les engagemens qu’elle avait tant de fois contractés, malgré toutes les instances de la cour de Rome et malgré celles des chefs de l’épiscopat, continuer l’alliance avec les protestants d’Allemagne et avec la Hollande, et persister à ne vouloir qu’une paix générale où nos alliés trouveraient leur compte aussi bien que nous, tandis qu’on répétait continuellement à la reine qu’on pouvait faire une paix particulière, et traiter séparément avec l’Espagne à des conditions très convenables, que par là on ferait cesser le scandale d’une guerre impie entre le roi très chrétien et le roi catholique, et qu’on procurerait à la France un soulagement dont elle avait grand besoin. C’était là la politique de l’ancien parti de la reine. Elle était au moins spécieuse, et comptait de nombreux partisans parmi les hommes les plus éclairés et les plus attachés à l’intérêt de leur pays. Mazarin, disciple et héritier de Richelieu, avait des pensées plus hautes, mais qu’il n’était pas aisé de faire entrer dans l’esprit d’Anne d’Autriche. Il y parvint peu à peu, grâce à des efforts sans cesse renouvelés et ménagés avec un art infini, grâce surtout aux victoires du duc d’Enghien, car en toutes choses