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se jette dans les bras de ce chef d’aventuriers et le supplie d’accepter la présidence. Il s’y refuse, envoie des commissaires auprès du général qui aurait dû défendre la ville, fait chanter un Te Deum, et agit en dictateur. Il avait trouvé dans la capitale du Nicaragua un ministre des États-Unis, M. Wheeler. Ce diplomate se met aussitôt d’accord avec Walker, et consent à lui servir d’ambassadeur auprès du général ennemi ; mais, ses propositions n’ayant pas été acceptées, il veut se retirer : alors on le retient prisonnier, et on ne le relâche qu’après une démonstration menaçante du bateau à vapeur dont les flibustiers s’étaient emparés. Nous passons sur un grand nombre d’autres incidens, dont le plus tragique est l’exécution du secrétaire du gouvernement de Nicaragua par ordre de Walker, qui le soupçonna de travailler en secret à soulever la population contre lui, et nous arrivons à un dénoûment provisoire de la pièce, qui est un traité régulier entre Walker et le général nicaraguais Corral, conclu le 23 octobre dans la ville de Grenade pour mettre fin à la guerre civile et à la guerre étrangère. — Un sieur Rivas est nommé président intérimaire pour quatorze mois ; une amnistie générale est proclamée ; la légion française, — l’existence d’un pareil corps est un fait tout nouveau pour nous, et peut-être les hommes qui le composent sont-ils quelques débris égarés de l’expédition de M. de Raousset-Boulbon, — reste au service du Nicaragua, et le gouvernement donnera des terres à ceux qui voudront se faire naturaliser dans le pays. Enfin le général Walker est reconnu en qualité de commandant en chef de l’armée de la république. — Telle est la substance de ce traité, dont quelques autres articles indiquent cependant que la paix, décrétée sur le papier, n’existait pas sur toute l’étendue du territoire. Mais ce n’est là que la surface officielle des choses. Ni l’agression, ni la défense n’ont probablement dit leur dernier mot. Si faible qu’il soit, l’élément national doit chercher à réagir contre cette surprise, et ce qui le prouve, c’est que les derniers rapports annoncent que le général Corral, qui avait signé la paix avec Walker, et qui, selon les journaux américains, était allé avec lui en rendre grâces au Dieu des armées, a été, peu de jours après, fusillé par ses ordres comme traître.

Nous admettons un instant, sans le savoir, que Walker, qui fait si lestement fusiller les gens, n’est pas un bandit vulgaire et insensé. Alors ces rigueurs indiquent qu’il est dans la nécessité de réprimer avec la plus cruelle énergie un travail qui se fait contre lui dans le sein de la petite nationalité dont il a méconnu les droits. Il existe certainement dans quelque partie reculée du pays un simulacre de gouvernement légitime qui proteste. Ce gouvernement a un agent à Washington, qui réclame avec ses collègues des états voisins, et quoique le ministre américain à Grenade ait reconnu le nouvel ordre de choses, le cabinet de M. Pierce ne va peut-être pas si vite. On doit donc s’attendre à de nouvelles péripéties. Et pourtant il n’y a pas d’illusions à se faire, le coin est enfoncé dans l’Amérique centrale, sur tout le trajet d’une route déjà très fréquentée de l’un à l’autre Océan. Avant que Walker eût surpris la capitale, quelques hommes de la Californie étaient déjà venus le rejoindre. Au premier bruit de ses succès, beaucoup d’autres sont partis de San-Francisco, et les autorités fédérales ont vainement essayé