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montent à la tête comme l’ivresse et ouvrent devant les yeux appesantis des perspectives éblouissantes. Du reste peu d’idées religieuses nettes, saines et claires. Chez les hommes, le phénomène contraire se présente; les hallucinations sont toutes violentes, meurtrières et diaboliques; pas d’autre horizon que celui de la terre, les instincts naturels à l’homme remués jusque dans leurs profondeurs et laissant échapper des émanations grosses de colère et comme d’acres vapeurs chargées de haine, les sentimens de famille souvent sous leur forme la plus tendre, mais le plus fréquemment réduits à leur essence primitive, c’est-à-dire à ces liens du sang aussi forts que terribles qui font rugir les bêtes elles-mêmes lorsque leurs petits sont en danger ou qu’ils expirent sans secours. Des deux côtés, la vie particulière à l’industrie a perverti, torturé, brisé les facultés, qui ne sont plus en équilibre. Pour toute douceur, de la lassitude; pour toute force, de la violence; de toutes parts des sentimens extrêmes, excessifs et dangereux, et jamais cette nature humaine moyenne qui est la seule vraie. qui se retrouve chez les classes agricoles et jusque chez les populations les plus misérables, pourvu qu’elles ne soient pas soumises au travail industriel.

Bizarre phénomène, et qui est digne de toutes sortes de méditations ! Le travail des champs est naturel à l’homme, et si excessif qu’il soit, il ne produit rien de pareil; il peut épuiser le corps, il n’engendre aucun sentiment malsain. Le travail domestique est naturel à l’homme, et il ne produit que bonheur et joie. Le travail des métiers, quelque fatigant qu’il soit, engendre la sociabilité, le compagnonnage, l’association. Seul, le travail des manufactures, invention de la science et de l’esprit humain, tout en tuant le corps, pervertit l’âme. Oh! comme la nature vaincue se venge, elle dont les émanations sont la santé même, la seule vraie médecine, l’unique réparateur des forces épuisées de l’homme! Soumise, elle n’engendre que des germes de mort. Cette vapeur comprimée aveugle et brûle, ces forces domptées foudroient, ces matières premières, jadis innocentes, laissent échapper des gaz délétères; cette fine poussière de coton étouffe; ces atomes de poison, de verre, de substances chimiques, trouvent subtilement le chemin du poumon; ce perpétuel bruit des machines en mouvement engendre la surdité. Avez-vous remarqué l’aspect implacable des machines, leur cruelle précision, leur quasi-intelligence fatale comme un calcul arithmétique, et cette activité absorbante et comme affamée avec laquelle elles mordent le fer, tordent le fil, happent le coton, soulèvent des poids? Eh bien! quelque chose de cette dureté mécanique finit par être le partage des populations qu’elles emploient. Dans le contact perpétuel de l’homme avec les machines, le cœur se vide et ne se renouvelle