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Enfin l’aube parut. Aux premières lueurs du crépuscule, Espérit était à l’abreuvoir, étrillant et lavant son ânesse. Les troupeaux sortaient des étables, les alouettes chantaient dans les blés, des tourbillons de poussière montaient sur le chemin, de toutes parts on entendait tinter les clochettes des chèvres et des capitaines-béliers.

Le soleil tournait du côté de Villes, lorsqu’Espérit et la Cadette arrivèrent à la croisette de Saint-Pierre de Vassols. La Cadette s’arrêta net au milieu du chemin. Espérit s’orienta, mit une paille dans ses doigts et se fit un cadran de la main.

— Six heures ! dit-il. Il y manqué dix minutes. Notre maire est réglé comme un papier de musique, il ne sera à la croisette que sur le coup de sept heures. C’est fort bien. Pour ne pas manquer son monde, il faut toujours arriver une petite heure à l’avance. Puisque j’ai du temps, je m’en vais dire mes vêpres de dimanche ; qui sait si après-demain j’aurai loisir d’aller à l’office ? Allons, Cadette, tu es libre.

Il détacha le mors de l’ânesse, pour qu’elle pût brouter à l’aise l’herbe rare des talus, et pendant que Cadette cherchait sa vie sous la haie, Espérit se promenait à pas croisés au bord du fossé, priant et chantant, le licou attaché au bras, le livre d’heures dans la main gauche, la droite armée d’une branche de romarin pour chasser les mouches.

Sept heures sonnaient au clocher de Saint-Pierre de Vassols, lorsque le maire Tirart parut à la croisette. Espérit tenait le milieu de la route et faisait caracoler son ânesse. — Salut, monsieur Marius et la compagnie ! Ça va bien que vous soyez seul, nous allons reprendre notre affaire. Voici près d’une heure que je vous espère, et nous allons causer à notre aise. Vous savez que nous ne sommes pas des ennemis ?

— Oh ! s’écria le maire, encore ta comédie, je gage ! Voilà pourquoi tu m’arrêtes à l’embuscade comme un franc voleur.

— Bien parlé, notre maire ; jouez cinquante louis d’or, et vous les gagnerez. Cette nuit je me suis dit : Espérit, tu as eu tort l’autre jour de déranger notre maire, qui était à ses affaires de garance : mais c’est aujourd’hui vendredi : puisqu’il va à la ville pour son marché, tu iras l’attendre sur la route de la ville, vous ferez ensemble une petite lieue, et tu pourras lui expliquer ton système sans lui brûler son temps. Mots j’ai réveillé la Cadette, nous avons déjeuné, nous nous sommes mis en route, et me voilà. Je vous disais donc que l’année dernière on avait joué la comédie de César à Montalric ; alors je me suis dit que si vous vouliez, ce serait encore plus beau à Lamanosc pour notre Saint-Antonin.

L’ânesse s’était piquée d’honneur et galopait à grands sauts pour suivre l’amble de la jument du maire. M. Tirart crut qu’Espérit