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commune. Il n’y a pas à branler ni à lever la tête comme le roi d’Espagne. Eh ça ! oui, ou non, voulez-vous m’entendre, notre maire ? C’est la dernière fois que je vous le dis. Eh ! brigand de sort ! ce n’était pas ainsi autrefois quand nous étions terre du pape. Les consuls écoutaient tout le monde ; il y en avait pourtant qui étaient seigneurs, monsieur Tirait ; mais de ce temps on n’était pas fier comme à l’heure d’aujourd’hui. Ah ! nous sommes tous fils du père Adam après tout. De tout temps, nous avons été en république dans nos communes du Comtat, et vous n’y changerez rien.

— Le voilà parti ! dit en riant Tirart ; allons, Espérit, calme-toi, ou je te fais arrêter comme ennemi du gouvernement, et je t’envoie à Puis, de brigade en brigade, la corde au cou, pour avoir voulu insurger le pays contre la France.

— Les braves gens ne s’arrêtent pas ainsi entr’eux dans leur commune, monsieur Marius. Je ne suis pas l’ennemi de la France, mais je tiens pour la justice. Vous savez bien que je ne vous parle pas pour moi, mais pour le bien de notre endroit. Alors écoutez-moi, reprit-il en jetant loin de lui son couteau, ou, sur mon nom, ça tournera mal pour tous deux ; je vous le dis : je sens les oreilles qui me chantent.

— Marche, marche, dit le maire, conte-moi ton affaire ; tu es dans ton droit ; mais dépêchons, et surtout pas de menaces ; si les oreilles te chantent, les poings me dansent, gare la musique !

Espérit lui tendit la main : — Touchez là, notre maire ; à l’amitié ! Vous êtes un brave homme, je vais vous raconter mon système de fil en aiguille.

Enfin Espérit put expliquer de point en point son grand projet, et te maire écouta de son mieux l’exposé des motifs que le tenailler lui présentait avec tout le luxe de ses périphrases et de ses métaphores. Les comparaisons, les proverbes, les souvenirs, les anecdotes abondaient dans cette œuvre longuement méditée. Tirart avait fait vœu de patience, il entendit tout ce discours sans trop se mettre en colère ; mais quand le terrailler eut fini, les objections lui vinrent en foule : — Comment feras-tu ? — Oseras-tu louer une salle ? — Et l’argent ? — Où prendras-tu des décors, des costumes, des acteurs ? — Qui de vous sait le français ? le plus malin de vous est de ma force. — Et l’argent ?

— Ça me regarde, ça me regarde, répondait invariablement Espérit. Je n’ai besoin que de votre permis.

Quand la matière fut épuisée, il se leva et dit au maire : — Je ne vous demande pas d’écrit, votre parole me suffit. C’est une affaire décidée.

— Nous verrons, nous verrons ; ton idée a du bon, mais laisse-moi