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la durée d’un cabinet. Il y avait dans celui-là des hommes qui ont honorablement manié depuis cinquante ans les plus grandes affaires du monde, des hommes qui ont siégé dans les conseils auprès de M. Fox et qui sont la tradition vivante du grand parti dont il était le chef, des hommes qui ont été les compagnons de Robert Peel dans ses hardies et bienfaisantes entreprises, des hommes enfin qui ont attaché pour jamais leur glorieux nom à la mémoire de toutes les grandes réformes dont s’enorgueillit leur patrie. Je ne sais en quel pays on aurait aisément rencontré une plus heureuse réunion d’esprits supérieurs et de nobles caractères. Malheureusement ce ministère, composé en grande partie d’hommes qui ont dépassé la maturité de L’âge, n’était pas préparé à la destinée qui l’attendait. Le navire était magnifique pour le commerce et la navigation, il pouvait braver les flots et les vents; mais ce n’était pas un vaisseau de guerre. Les événemens lui ont à l’improviste imposé une tâche pour laquelle il n’était point fait.

Le moment est arrivé où l’on peut sans embarras revenir sur les antécédens et les débuts de la guerre. La valeur des armées alliées a triomphé des plus grands obstacles. Une victoire décisive est venue couronner l’héroïsme à la fois patient et impétueux de nos soldats. La vérité peut se dire sans risque d’aggraver des revers ou d’envenimer des souffrances. Pour moi du moins, je puis parler à l’aise. Je suis de ceux qui pensent que la cause de la guerre valait la guerre, et qu’il était de l’honneur de la France comme de l’Angleterre d’engager cette terrible partie, le jour où la diplomatie a été trouvée impuissante à nous donner un pacifique dénoûment. La situation que la Russie s’est faite en Europe depuis quarante ans ne pouvait être à jamais supportée, ou bien il faut dire que l’Europe a eu tort de s’inquiéter des agrandissemens de Charles-Quint, de Louis XIV, de Napoléon. Il a toujours été écrit dans l’avenir de ce siècle que la querelle éclaterait. L’aveuglement et la faiblesse pouvaient seuls se refuser à comprendre cet arrêt de la politique. A la prépondérance de la Russie est due cette tyrannique unité de l’Europe, si longtemps indivisible, et dont le fardeau a pesé depuis tant d’années sur la France et ravi à ses meilleurs gouvernemens l’apparence de la liberté d’action. Heureusement, parmi les ambitions de la puissance moscovite, il y en avait une dont les gouvernemens de l’Europe ne pourront endurer le triomphe qu’au jour où ils ne seront plus que l’ombre d’eux-mêmes. Les vues plus ou moins déclarées, plus ou moins patientes de la Russie sur Constantinople ont le privilège d’inquiéter à la fois et de rallier dans une même jalousie la plupart des grandes nations du monde, et il devait arriver qu’une fois, soit en se révélant par des imprudences, soit en se