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vaine ; dans le cas contraire, ne vous défiez pas tant des élections. Il est plus facile d’exciter et d’éclairer l’opinion électorale que le pouvoir exécutif. Gagnez des voix à vos idées, et vos idées triompheront. Si le public ne recherche pas assez les candidats que leur jeunesse et leur talent promettent à la politique, si les brigues et les frais des élections incitent les représentans de la classe moyenne dans la dépendance des électeurs, et les obligent à se soutenir par la corruption, si la chambre devient ainsi trop indulgente pour les abus du patronage, parce qu’elle même en a besoin, c’est contre tout cela que l’action de la presse, des associations, des pétitions est bonne. C’est à ce mal que quelques mesures de réforme, non pas administrative, mais électorale, peuvent remédier. C’est dans ce sens qu’il faut stimuler la chambre, agiter le public. Tout ramène, comme on le voit, à ces vieilles et éternelles garanties, les chambres, les élections, la presse, l’opinion. Tout corrobore notre opiniâtre confiance dans les forces propres du gouvernement représentatif. Il ne faut pas l’altérer pour l’améliorer, mais tirer parti de ses ressources et le développer dans le sens de son génie. C’est à la chambre de forcer les ministres à ne pas s’endormir dans la routine ; c’est à la presse de pousser le pays à rajeunir la chambre par des choix nouveaux ; c’est à l’opposition de retrouver et de mettre en lumière ces hommes d’état qui depuis la réforme sont, dit-on, perdus et cachés. Une des erreurs de notre temps, et dont notre révolution française a souvent pâti, est de croire, dès qu’un inconvénient se fait sentir, qu’il suffit de quelque combinaison législative pour s’en délivrer. Les réformes sont bonnes assurément, mais elles ne sont ni bonnes à tout, ni d’une efficacité sans limite, et quelques dispositions écrites ne changent pas un mouvement d’idées, un état des esprits, une cause morale enfin dont les effets inquiètent. « Tout est opinion à la guerre, disait Napoléon ; après une bataille perdue, la différence du vainqueur est peu de chose : c’est l’influence morale qui fait tout[1]. » Ce qui est vrai à la guerre est encore plus vrai dans la politique, et c’est pour donner toute sa force au ressort de l’opinion que les constitutions libres furent inventées. Que le public veuille des ministres plus jeunes, des membres du parlement plus maîtres d’eux-mêmes, une administration plus sévèrement composée et plus active dans le sens du bien public, il aura tout cela, s’il le veut ; aucune loi ne le lui donnera. Que l’Angleterre fasse donc quelques réformes écrites, si cela lui plaît ; mais qu’elle n’en espère pas trop et ne s’y fie guère. Qu’elle se fie à la liberté et qu’elle en use.


CHARLES DE REMUSAT.

  1. Lettre au roi Joseph, 22 septembre 1808.