Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pêcheurs, le hareng est caqué, c’est-à-dire ouvert avec la lame d’un couteau et mis dans des barils ; on y ajoute du sel qui fond et dans lequel le poisson se conserve. Depuis une huitaine d’années, une corvette à vapeur accompagne la flottille. Les cent premiers barils sont chargés sur cette corvette, qui les transporte à toute vitesse dans le port de Vlaardingen[1]. Autrefois l’arrivée des premiers harengs donnait lieu à des fêtes et à des cérémonies nationales dont l’éclat a diminué avec l’importance même de cette pêche. Aujourd’hui les marchands de poissons à La Haye, à Rotterdam et à Amsterdam se contentent d’arborer un drapeau sur leur boutique et de pendre une couronne de verdure. Le premier hareng est toujours porté dans un char pavoisé et offert triomphalement au roi, qui reconnaît ce cadeau par une gratification de 500 florins. Il y a quelques années encore, dans les premiers jours qui suivaient la pêche, de riches Hollandais promettaient aux gros poissonniers de La Haye un ducat par tête de hareng ; chaque marchand faisait en conséquence des sacrifices intéressés pour obtenir le premier cette étrenne de la mer, arrivée à Vlaardingen sur les ailes de la vapeur. L’un d’eux, homme d’esprit, nous racontait que vingt-quatre harengs, apportés de Vlaardingen à La Haye par dix hommes et dix chevaux lancés ventre à terre, lui avaient coûté, seulement de port, 200 florins. À présent, le hareng de primeur est encore recherché ; il se vend dans les premiers jours de 3 à 4 fr. la pièce[2]. Les riches habitans de La Haye en envoient de petits barils à leurs amis de la Drenthe et de l’Overyssel, qui leur adressent en échange des coqs de bruyère. Tout cela peut être intéressant comme détail de mœurs, mais au point de vue économique on se demande si l’état doit protéger plus longtemps un produit de luxe, un objet de mode, que consomment seulement les classes opulentes. Grâce à la surveillance, au système des primes, à la marque de feu imprimée sur les barils, le hareng hollandais a conservé dans le monde sa renommée, mais voilà tout : stat magni nominis umbra. Tant que ce produit de l’art et de la nature a maintenu la splendeur

  1. Les jours suivans, cinq navires connus sous le nom de chasseurs, et qui portent un pavillon bleu piqueté de blanc, ramassent successivement en mer le produit de la lie. Aussitôt que le premier chasseur a réuni cent vingt tonnes, il part pour la Hollande ; le deuxième revient avec cent soixante-dix, et ainsi de suite jusqu’au dernier. Quand les cinq chasseurs ont fini leur service, la primeur du hareng caqué est à peu près déflorée.
  2. Dans les premiers jours qui suivent la pêche, le prix du hareng en gros est de 1,400 francs la tonne. Chaque tonne contient à peu près sept cents harengs. À mesure qu’on avance dans la saison, le prix des tonnes diminue, et la taille du poisson s’amoindrit. La tonne renferme alors huit ou neuf cents harengs. Un surveillant ouvre et examine les tonneaux qu’on débarque sur le port de Vlaardingen, pour s’assurer qu’ils sont pleins et que la marchandise est de bonne qualité.