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bords du Zuiderzée sont ravissans. Une ceinture de villes et de villages, liés par des prairies, des jardins, des maisons de campagne, presse mollement les contours du golfe. Ces villes anciennes vivent plus ou moins de la navigation et de la pêche.

En partant d’Amsterdam, si nous suivons la gauche du bassin, on rencontre d’abord Monnikendam, qui doit son nom et peut-être son origine à un ancien monastère[1]. Un clocher d’église, une tour, des maisons de brique harmonieusement groupées, des mâts de bâtimens et des voiles de pêcheurs, tels sont les principaux traits de cette ville, qui sort du fond de l’eau, comme la nymphe antique, avec une couronne de verdure. À propos de nymphe, voici Edam, autre ville de la Nord-Hollande, à laquelle se rattache une légende locale. C’était après une forte tempête qui avait confondu le ciel et la mer ; les eaux, chassées par des vents furieux, avaient brisé les écluses, envahi les terres, lorsque les jeunes filles d’Edam, allant faire boire leurs vaches dans le lac de Purmer, avisèrent une femme aux membres nus et couverts d’une mousse verdâtre qui nageait à la surface de l’eau. D’abord la nouveauté du spectacle les effraya ; puis, un peu remises de leur émotion, elles tirèrent la fille de mer dans un filet et la conduisirent à Edam. Là on la débarrassa de la vase et de la mousse qui la couvraient : ornée d’habits plus conformes à la pudeur de son sexe, elle apprit à manger du pain et à filer ; mais une inclination naturelle l’entraînait toujours vers les eaux du lac. Elle parlait une langue inconnue, et ne comprenait rien au hollandais. Un grave chroniqueur, Snoyus, affirme tenir le fait de témoins oculaires ; il réfute l’opinion de ceux qui, par goût du merveilleux et du chimérique, ont prêté à cette fille une queue de poisson. Et maintenant, si vous doutez de l’histoire en elle-même, regardez à Edam ce vieux bas-relief conservé sur un des murs de la ville : vous y verrez le portrait authentique de cette nymphe marine dans l’état de nature. Les formes sont belles et font regretter, si les autres filles de mer lui ressemblent, que l’espèce n’en soit pas plus commune[2].

D’Edam à Hoorn, la côte s’arrondit et se comprime pour donner ensuite naissance à un promontoire sur la pointe duquel s’élève Enkhuisen. La ville de Hoorn tire son nom de la forme recourbée de son port, qui s’avance dans l’eau comme une corne de bœuf. Une telle configuration est elle-même un symbole des mœurs pastorales de

  1. Monnikendam, barrage sur la rivière des moines.
  2. On a cherché si ces légendes avaient quelque fond historique : plusieurs se sont demandé si cette fille de la mer n’était point une femme d’Islande ou de Norvège jetée sur les côtes du Zuiderzée par une tempête ; d’autres Hollandais ont cru que leurs naïfs ancêtres avaient pris un phoque pour une créature humaine : il est plus probable que l’imagination seule a fait les frais de ces fables merveilleuses, qu’on trouve répandues fort loin sur les côtes de la Mer du Nord.