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l’imitation du passé que dans l’invention proprement dite. Tous ceux qui ont suivi avec attention les travaux de cet artiste ingénieux savent que je lui rends pleine justice en parlant de lui comme je le fais. Il savait prendre avec une merveilleuse souplesse la manière des peintres français ou étrangers. Il y a telle de ses toiles qui rappelle, à s’y méprendre, la grâce pimpante de Watteau, telle autre où il lutte de finesse avec Mieris et Metzu. C’en est assez sans doute pour attirer l’attention des amateurs, c’est trop peu pour occuper une place considérable dans l’histoire de l’école française. J’aurais pu parler de Louis Cabat, qui annonçait à ses débuts un talent naïf, mais il n’a pas tenu toutes ses promesses; son voyage en Italie, au lieu d’agrandir son style, l’a engagé dans une voie d’imitation où son talent a perdu son premier caractère. Au lieu de peindre l’Italie telle qu’il la voyait, comme il avait peint la Normandie, il a voulu la peindre à la manière du Poussin, et comme il n’avait pas en lui-même ce qu’il fallait pour soutenir la lutte, il a vu son crédit et sa popularité s’amoindrir de jour en jour. Quand il voudra se reporter vers la manière de M. Fiers, son premier maître, il retrouvera les succès de ses premiers ouvrages. S’il veut s’obstiner dans le paysage de haut style, qui n’est pas son fait, il n’obtiendra que l’effacement de son nom.

Il y a pourtant une omission que je me reproche et que je m’empresse de réparer. J’aurais dû parler de M. Winterhalter et de son nouveau Décaméron, car je ne saurais donner un autre nom au portrait de l’impératrice entourée de ses dames d’honneur. Après les termes sévères dont j’ai usé envers M. Madrazo, on aurait le droit de me demander pourquoi j’ai laissé passer sans une parole de réprobation cette œuvre singulière, qui s’étale dans le grand salon comme un morceau de première importance, et qui pourtant ne mérite pas un quart d’heure de discussion. Je n’aimais pas le premier Décaméron de M. Winterhalter, et, pour me servir d’une expression usitée au XVIIe siècle, j’en ai dit mon sentiment; le nouveau Décaméron me paraît encore au-dessous du premier. Le portrait de l’impératrice et de ses dames d’honneur est tout bonnement une parodie de Watteau, mais une parodie dont les proportions ne permettent pas l’indulgence. Toutes les incorrections, toutes les omissions qui se peuvent pardonner dans une figure de dix pouces sont inexcusables dans une figure qui a les dimensions du modèle vivant. Les petites filles qui passent devant la toile de M. Winterhalter s’extasient à bon droit devant toutes ces robes qui font le fromage : c’est en effet le seul éloge qui puisse être accordé à cette bizarre composition. Les arbres qui abritent les figures n’ont ni écorce ni feuilles; quant aux figures mêmes, comment en parler sérieusement? Jamais l’ignorance ne s’est