Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/435

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seulement l’Ionie, l’Éolide et une portion de Ia Troade et de la Lydie, ne figurait dans la division de l’empire que comme une des nombreuses provinces du diocèse d’Asia (diœcesis Asiana).

Quoique ce terme d’Asie-Mineure apparaisse déjà dans Paul Orose, qui vivait au Ve siècle, et dans Jean le Lydien, qui est du VIe, cependant il n’a pour eux que le sens d’une locution explicative et conventionnelle dont l’usage semble être particulier à ces deux auteurs. Ce terme ne se rencontre, avec la valeur d’une expression généralement acceptée et courante, que chez Constantin Porphyrogénète, au Xe siècle. Le texte de cet écrivain a encore cela d’important, qu’il nous révèle l’origine de la seconde des deux dénominations de l’Asie-Mineure, celle d’Anatolie, qui dans la suite est devenue synonyme de la première. Le Thema Anatolicum, l’une des quatorze provinces de l’Asie-Mineure à cette époque, correspondait à la Phrygie, la Lycaonie, la Pamphylie et la Pisidie. Dans les chroniqueurs latins du moyen âge, ces deux dénominations ne reviennent que très rarement; ils les remplacent habituellement par celle de Romanie, c’est-à-dire pays des Romains, comme appartenant à l’empire de Byzance ou de la nouvelle Rome. L’appellation familière aux auteurs orientaux est celle d’Anatolie ou Natolie, ou bien encore pays de Roum, mais avec cette distinction, que cette dernière représente pour eux toute la péninsule, tandis que l’Anatolie n’en est qu’une fraction, composée des provinces occidentales, et correspond à ce que Constantin Porphyrogénète entend par contrée située à l’est de Constantinople[1]. Cette délimitation locale de l’Anatolie se maintint pendant les premiers siècles de l’empire ottoman, et elle fut conservée dans le remaniement que lit, au XVIe siècle, le sultan Soleyman le Grand des circonscriptions territoriales de l’Asie-Mineure. Elle existait encore au temps du célèbre voyageur turk Evliya-Effendi, c’est-à-dire à la fin du XVIIe siècle; mais la division introduite par Soleyman se modifia dans la suite peu à peu, de manière à faire disparaître entièrement de la liste des provinces turkes le nom d’Anatolie. Aujourd’hui ce nom n’est plus pour les musulmans, comme celui d’Asie-Mineure pour les chrétiens, qu’un souvenir qui a perdu sa véritable signification géographique ou politique.

Bornée de trois côtés par la Méditerranée, la mer Ægée, la Propontide et le Pont-Euxin, dont les bassins la séparent à peine des contrées du globe les plus favorisées par la nature, et entourée de cette magnifique ceinture d’îles qui se déroule du sud au nord-ouest, depuis Chypre jusqu’aux îles des Princes, dans la mer de Marmara, la péninsule forme comme un épanouissement du continent asiatique vers l’occident, destiné à mettre en communication cette vaste partie du globe et l’Europe. Ses limites à l’est peuvent être tracée par une ligne tirée obliquement du golfe d’Alexandrette ou Scanderoun (Issicus sinus) au sud jusqu’à Trébisonde vers le nord; mais dans le livre de M. de Tchihatchef, et sur la carte qui l’accompagne, cette ligne ne dépasse point, sur le littoral septentrional, Ordou, village qui est l’antique Cotyora, situé à environ dix-neuf lieues à l’ouest de la ville de

  1. De Thematibus orientis et occidentis, lib. II, dans Banduri, imperium orientale, t. Ier, p. 2.