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est bien permis de supposer que le cabinet de Saint-Pétersbourg n’était pas complètement étranger à ces questions, à ces suggestions que la Prusse a portées en différentes cours, à ces vœux et à ces conseils que son ministre à Constantinople est, dit-on, chargé d’y exprimer en y retournant, pour faire surgir de quelque côté une tentative de rapprochement. Malheureusement pour la Russie ces détours ne peuvent conduire au but. Des ouvertures qui ne seraient pas expressément présentées en son nom, des paroles dont on ne pourrait ou n’oserait pas se déclarer chargé par elle, ne sauraient être accueillies à Paris ou à Londres comme des avances auxquelles on aurait une réponse à faire, et par conséquent laisseraient les choses dans l’état où elles sont depuis la rupture des conférences de Vienne ; il serait même à craindre que si la bouche qui les prononcerait était suspecte, on ne fût tenté d’y voir une velléité de médiation qui serait à bon droit rejetée. On ne peut donc se dissimuler qu’en ce moment la paix soit bien difficile, non de parti pris dans l’un et l’autre camp, mais parce que l’un ne veut pas demander ce que l’autre ne peut pas honorablement offrir. Aussi la pensée, l’humeur même des hommes d’état parait-elle suivre une impulsion différente, comme il est aisé d’en juger par un discours récent de lord Palmerston, qui respirait l’ardeur de la lutte et l’exaltation du triomphe beaucoup plus qu’il ne laissait pressentir une reprise du calme et patient travail de la diplomatie.

Jusqu’à quel point la nation anglaise partage-t-elle ces sentimens ? Éprouve-t-elle ou éprouvera-t-elle longtemps le besoin de pousser la guerre à outrance, de protester contre toute idée de négociations, de décourager toute proposition pacifique par des manifestations aussi vives ? Nous ne voudrions pas l’affirmer. Il parait se former en ce moment même une coalition inattendue entre les chefs de l’école de Manchester, les peetites, qui se sont retirés du ministère, — et jusqu’à des tories qui tout récemment encore accusaient le cabinet d’avoir mené la guerre trop mollement, — pour résister à la politique dont le discours de lord Palmerston est le manifeste. C’est un événement grave, surtout au milieu de la crise économique que l’insuffisance de la récolte a fait éclater. Les peelites comme M. Gladstone, les hommes de Manchester comme M. Cobden et M. Bright, sont les organes respectés d’intérêts matériels et populaires que les circonstances rendront de jour en jour plus exigeans. Ils trouveront de l’écho dans plus d’une classe de la société anglaise, et pour nous, nous attachons une assez grande importance à ce mouvement, que les dernières séances du parlement permettaient de pressentir pour l’époque où la chute de Sébastopol désintéresserait la dignité nationale et le point d’honneur militaire. Des motifs d’un ordre différent, des considérations étrangères à la question alimentaire ou à l’état des finances peuvent le fortifier. Somme toute, c’est dans la situation un élément nouveau qui doit frapper les esprits.

En France aussi, le gouvernement et le pays ont à se préoccuper de la cherté des denrées alimentaires. Pour les approvisionnerons de céréales, l’expérience a démontré que la liberté des transactions est le moyen le plus simple et le plus sur d’attirer sur nos marchés les produits des contrées étrangères. Les États-Unis, où l’abondance de la récolte a dépassé les prévisions les plus favorables, seront en mesure de combler le déficit européen. Déjà d’im-