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riche ne fournirait-elle pas de vivantes peintures à des esprits bien doués? Que de trésors à recueillir dans ce commerce assidu avec les traditions du sol! Puisqu’il faut un but sérieux, puisqu’il faut une inspiration morale chez celui-là même qui ne semble préoccupé que de l’amusement du lecteur, en voilà une toute naturelle et singulièrement heureuse, l’amour du pays, l’interprétation des choses passées, la peinture sympathique des choses présentes. Quand l’auteur d’Eritis sicut Deus mettait si énergiquement en scène les désordres de l’athéisme hégélien, c’étaient là des mœurs bien allemandes, et soit qu’on approuvât sa belliqueuse ardeur, soit qu’on blâmât en maintes rencontres l’âpreté de ses satires, il fallait bien reconnaître dans ce vigoureux tableau un esprit sincèrement inspiré[1]. Ce qu’a fait ainsi l’audacieux conteur dont l’Allemagne ne sait pas encore le nom, ce qu’il a fait avec amertume, avec passion, au milieu des injures des uns et des acclamations des autres, il faudrait le faire aujourd’hui sans autre inspiration que celle de la vérité, sans autre passion que la passion de la poésie et de l’art.

Il y a en Allemagne un jeune écrivain qui a senti vivement le mal dont je viens de signaler les causes, et qui fait en ce moment même de généreux efforts pour le combattre. Je parle de M. Otto Müller, connu déjà par des récits pleins de fraîcheur et de vérité. M. Otto Müller a été frappé comme nous de cette multitude de talens qui gaspillent leurs fragiles trésors; il a déploré les effets de l’imitation frivole de la France, et il a conçu le désir d’imprimer aux esprits une direction plus sûre. Grouper autour de lui les écrivains qui prennent leur tâche au sérieux, ramener l’art aux traditions vraies dont il s’est trop longtemps écarté, entreprendre avec ses amis la peinture des mœurs allemandes dans le présent aussi bien que dans le passé, former le goût du public par un choix d’œuvres véritablement littéraires et désignées à l’attention de la foule, tel est le plan de M. Otto Müller. L’intention est excellente; le jeune écrivain a-t-il su la réaliser tout entière? Cette question mérite bien qu’on l’examine avec sollicitude. Un premier groupe s’est déjà formé, cinq romanciers ont répondu à l’appel, et nous avons entre les mains six volumes de cette collection, que M. Müller appelle avec confiance Bibliothèque de romans allemands originaux. De ces six écrivains, y compris le chef qui les a convoqués, il en est trois qui ont déjà fait leurs preuves et donné leur mesure; les trois autres sont des hommes nouveaux. La génération qui a fait parler d’elle il y a quinze ans et la génération qui se lève s’associent pour une œuvre commune. Les vétérans n’avaient pas toujours suivi le chemin le plus droit, les

  1. Voyez, sur ce roman, la Revue du 15 juin 1855.