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l’histoire d’un homme doué de facultés puissantes et poussé au crime par l’iniquité de ceux qui devaient lui tendre la main ; quant aux détails, ils sont hardiment inventés, et cette mise en œuvre fait le plus grand honneur à la forte et saine imagination de M. Kurz. Le récit de Schiller lui-même n’a fourni qu’un petit nombre de traits au romancier. On n’avait dans ces documens authentiques qu’une simple histoire de cour d’assises ; ici, c’est une œuvre vraiment remarquable, et que remplit d’un bout à l’autre le souffle de la poésie.

Le tableau s’ouvre vivement à l’heure où Frédéric Schwan, le fils de l’aubergiste du Soleil, condamné pour ses violences à passer quelques années dans une maison de correction, vient de subir sa peine et met le pied hors de la prison. Frédéric est sur le seuil ; un des geôliers le pousse dehors par les épaules et lui lance, dans un style grotesquement brutal, un adieu qui fait frissonner. C’est donc un scélérat perdu sans retour pour que le geôlier lui tienne ce langage ? Non, c’est une nature énergique et violente, mais pleine aussi de bons instincts et capable de grandes choses. À côté de la stupide figure de ce geôlier qui dépose dans le cœur du jeune homme le germe des ressentimens amers, l’auteur a placé dès le premier chapitre l’excellente physionomie du pasteur à qui est confiée l’éducation religieuse des détenus. Le digne ministre a su toucher le cœur du jeune sauvage ; il est indulgent, comme tous ceux chez qui l’expérience des hommes est éclairée par une philosophie chrétienne ; il ne se rebute pas pour une parole irritée, pour une brusquerie grossière, car il sait la force irrésistible de la douceur. Les bonnes pensées qui ne s’éteindront jamais complètement dans l’âme de Frédéric, les inspirations pieuses qui s’y feront jour çà et là au milieu même des souillures de sa vie, c’est le doux pasteur de la prison qui les y a mises. Pourquoi cet excellent homme est-il le seul être compatissant que l’infortuné rencontre sur sa route ? Le père de Frédéric, qui s’est débarrassé de l’enfant rebelle en le livrant à la police, n’est guère disposé à lui tendre les bras. Paysan orgueilleux, honnête homme au cœur dur, un de ces caractères vulgairement vertueux pour lesquels la bonne conduite est une sorte d’opération commerciale, comment ne verrait-il pas un ennemi dans ce fils indiscipliné qui a compromis si souvent la bonne réputation de l’auberge ? C’est une triste honnêteté que celle dont le père de Frédéric est si fier ; vertu solide, je le veux bien, mais qui ressemble terriblement à une enseigne. On dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions ; il est pavé surtout de ces vertus-là. Encore si le vieil aubergiste était seul à repousser l’enfant prodigue ! Frédéric est si transformé par cette année de prison, il est si résolu à se dompter lui-même, qu’il triompherait sans doute de la sombre rancune de son père ; mais il y a là