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dut-il pas redoubler quand le prince royal entra lui-même, vint s’asseoir auprès de la comtesse, et lui parla longtemps avec une bienveillance flatteuse ! La comtesse allait partir pour Saint-Pétersbourg, et Bernadotte tenait à acquérir ou bien à raviver l’active coopération d’Armfelt, devenu le favori d’Alexandre.

L’invasion subite de la Poméranie suédoise par les troupes françaises au mois de janvier 1812, qu’elle voulût répondre ou non à ces dispositions hostiles, vint prouver à la Suède et à l’Europe qu’un accord entre Bernadotte et Napoléon était désormais impossible, et que, de l’une et de l’autre part, le temps des ménagemens était décidément passé.


II.

L’invasion de la Poméranie était une nouvelle faute, puisqu’elle humiliait Bernadotte et ne l’empêchait pas de nuire à la France. Son amour-propre blessé réveilla les dissentimens qui l’avaient plus d’une fois déjà éloigné de l’empereur. Le souvenir du 18 brumaire, auquel il avait prétendu s’opposer, celui des premiers succès de Bonaparte, dont il était l’aîné, et au génie duquel, sans le reconnaître volontiers, il avait dû se soumettre, un grand souci de sa propre gloire, un profond ressentiment de se savoir dédaigné, enfin quelques circonstances de famille, assure-t-on, contribuèrent à le pousser plus avant dans la route semée d’abîmes que les ennemis de la France ouvraient devant lui. La conduite passée de Napoléon lui offrait des armes ; il s’en saisit. « Adressez-vous à Alexandre, avait dit Napoléon aux envoyés de Charles XIII au lendemain de la perte de la Finlande ; il est grand et généreux ! » Bernadotte releva ces paroles imprudentes et amères ; c’est lui qui prit au mot Napoléon.

Le 4 février 1812, le comte Charles de Lowenhielm[1], adjudant-général en service auprès de Charles XIII, présenta au prince royal un rapport sur l’entrée des Français en Poméranie. Celui-ci, après l’avoir lu avec attention, se leva tout à coup : « On me jette le gant, dit-il ; je le ramasserai ! Monsieur le comte, j’ai besoin d’un envoyé particulier vers l’empereur Alexandre ; acceptez-vous cette mission ? » Le soir même, des instructions secrètes étaient écrites de la main de Bernadotte ; le 8, le comte Charles était en route. Il devait proposer une alliance offensive et défensive ; le tsar garantirait la réunion de la Norvège à la Suède ; en vue de cette réunion, il accorderait à la Suède un corps de quinze à vingt-cinq mille hommes. Ce corps auxiliaire serait joint à trente-cinq ou quarante mille Suédois pour une

  1. Frère du comte Gustave de Lœwenhielm, actuellement ministre de Suède à Paris. C’est le comte Gustave qui, député vers Napoléon la veille de Wagram, avait recueilli des lèvres même de l’empereur les célèbres paroles que nous venons de citer.