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supériorité de l’Angleterre pour la métallurgie s’explique par des conditions inhérentes au sol d’un pays où la houille et les minerais se touchent dans les plus beaux gîtes du monde, par le voisinage de ports de mer, par l’abondance des capitaux, par le nombre des canaux, des routes et des voies ferrées qui assurent le bon marché des transports, par la puissance d’une exploitation poursuivie sur la plus grande échelle et avec la plus intelligente activité. La supériorité de l’Allemagne pour les lainages s’explique par la quantité de bétail qui couvre ses provinces, par la qualité et le mérite des toisons, par le bas prix de la main-d’œuvre, par des moteurs ou des procédés économiques. Ainsi des autres prééminences manufacturières. En les étudiant une à une, sans prévention ni esprit de système, on en trouverait l’origine dans des causes naturelles, dans des conditions locales dont la main de l’homme a su tirer parti, et qui sont, pour les pays favorisés, une sorte d’apanage.

Mais, en ce qui concerne la soie, est-ce le cas? y a-t-il là une de ces supériorités créées et maintenues par la nature ? était-ce à la France que cet empire devait revenir? D’abord le mûrier n’y est point originaire; il a fallu l’emprunter à l’Asie et en approprier la culture à un climat moins chaud. Le ver également s’y sent mal à l’aise et comme hors de son élément; il ne vit et ne travaille qu’au moyen de soins assidus, d’un régime ingénieux et d’une température artificielle. Livré à lui-même, négligé seulement, il ne rendrait pas les services qu’on attend de lui, et serait à la merci de la première variation atmosphérique. Puis, la soie une fois produite, à quelles villes aurait dû échoir la tâche de la tisser? où traiter une matière si délicate et lui imprimer ces nuances si tendres qu’un souffle semblerait devoir les ternir? Certes, si les faits n’avaient pas répondu à ces questions, et de la manière la plus victorieuse, ce ne serait ni à Saint-Etienne, ni à Lyon qu’on aurait, par conjecture, placé le siège de ce travail; les noms de ces cités enfumées ne se seraient pas présentés à l’esprit, et il eût été naturel d’imaginer pour l’industrie des soieries un ciel plus pur et moins chargé de vapeurs, des ateliers moins tristes et mieux pourvus de lumière.

Il faut donc reconnaître que si le bassin du Rhône a été le berceau de l’industrie des soieries, il ne le doit ni à des causes naturelles, ni à des circonstances locales, comme l’Allemagne pour les lainages, et l’Angleterre pour la métallurgie. A quoi tient cette supériorité? Au génie humain seul et à une faculté particulière du génie français. Le goût, ce fruit du sol gaulois, le juste sentiment de l’art, qui, au milieu de quelques déviations, est resté l’attribut de notre race, ont dès l’origine animé cette fabrication et l’ont maintenue ensuite au-dessus de toutes les rivalités. Et qu’on ne s’y