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lâcheté n’est point préférable encore à un certain genre d’assistance qui ne manque jamais, pas plus aux peuples déchus qu’aux individus malheureux. Lorsqu’un peuple est tombé et qu’on le voit, obéissant à la loi fatale de la gravitation, rouler d’abîme en abîme, les prêtres et Les lévites se rassemblent par milliers et viennent le haranguer, le prêcher et souhaiter bon voyage, in nomine Domini, à son âme immortelle; les pédans se rassemblent en conseil pour lui faire sentir son imprudence et ses fautes, et lui donner des règles de conduite pour la vie future: puis viennent les amis maladroits qui récriminent contre ses défauts et ses sottises. Tout le monde est d’accord alors pour ne plus voir que ses vices et ses erreurs, et ceux qui agissent ainsi, ce n’est pas ce vulgaire troupeau humain que nous venons de décrire et qui n’aime que le succès; non, ce sont les hommes éclairés, les philosophes, les publicistes. Ils se refusent à voir les grandes qualités qui jadis avaient fait la gloire de ce peuple et qui subsistent encore malgré tous ses malheurs. Ils se font ainsi, quoique à leur insu, les auxiliaires de tous les despotismes et les apologistes de toutes les injustices; eux dont le rôle devrait être celui du bon Samaritain, ils formulent des arrêts de pharisiens, et leur conclusion, comme celle du musulman fataliste, est toujours que cela était écrit.

L’Italie, la grande et malheureuse Italie, a fait toutes ces expériences. Admirée, enviée, flattée, imitée, pillée au temps de sa grandeur, elle s’est vue rebutée, méprisée, honnie, dès qu’elle est tombée, par tous les peuples qui précisément l’avaient ruinée et meurtrie. Le dédain et l’injustice dont l’Europe a fait preuve envers l’Italie ressemblent à de la lâcheté, et n’ont rien de commun avec cette froide insouciance qu’ont rencontrée parmi nous les revers de certaines autres nations, car c’est l’Europe elle-même qui a fait de l’Italie ce qu’elle est. L’Espagne, par exemple, est déchue autant que l’Italie peut l’être, et n’a d’autre avantage sur elle que d’être exempte de la domination étrangère; mais les sentimens peu sympathiques que l’Europe a souvent manifestés pour elle ont au moins une excuse. L’Espagne a voulu elle-même sa ruine; agressive, insultante envers l’Europe, elle s’est laissée mener par ses princes à l’asservissement des autres nations, et elle a rencontré le sort qu’elle voulait leur faire subir. Elle a été punie pour avoir été ambitieuse et avoir caressé des rêves de coupable domination. Ses malheurs ont donc une cause, et l’on peut en vérité, sans trop d’injustice, n’être pas charitable à son égard. L’Italie au contraire n’a jamais été agressive et n’a jamais menacé l’indépendance des autres peuples, qui l’ont prise pour théâtre de toutes leurs fantaisies guerrière et pour but de tous leurs désirs de domination. Confiante à l’excès, elle a souvent appelé dans