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la réserve prudente de M. Coindet dans ses conversations avec Rousseau, de là la règle qu’il s’était faite de ne point lui répéter ce qu’on disait de lui. Cette sagesse déplaisait à la vanité de Rousseau, qui voulait que le monde s’occupât sans cesse de lui, et qui semblait parfois n’en fuir l’empressement que pour en mieux exciter la curiosité. De plus, la confiance que M. Coindet inspirait à Rousseau préoccupait Thérèse, qui, toujours inquiète de sa condition auprès de Rousseau, était jalouse de quiconque paraissait plaire à Rousseau, et ne manquait pas d’aigrir par ses insinuations les défiances naturelles de son maître. Thérèse avait tous les défauts des petites gens, et par malheur ces défauts avaient je ne sais quel rapport avec les défauts de Rousseau. Elle était envieuse et médisante auprès d’un homme ombrageux et défiant

Je me suis arrêté un instant sur les relations de M. Coindet et de Rousseau, parce qu’il y a là quelques traits qui expliquent la conduite et l’allure de Rousseau à Montmorency avec M. et Mme de Luxembourg. Il est touché des égards que M. et Mme de Luxembourg témoignent à ses amis : mais il se défie bientôt de ses amis et les accuse de le supplanter auprès de ceux qu’il leur a donnés pour patrons.

De même que les amis de Rousseau devenaient ceux de M. et de Mme de Luxembourg, les amis de M. et de Mme de Luxembourg devenaient ceux de Rousseau. Il raconte avec plaisir comment, sur la terrasse de sa maison de Montlouis, il recevait souvent, avec M. et Mme de Luxembourg, « M. le duc de Villeroy, M. le prince de Tingry, M. le marquis d’Argentières, Mme la duchesse de Montmorency, Mme la duchesse de Boufflers, Mme la comtesse de Valentinois, Mme la comtesse de Boufflers, et d’autres personnes de ce rang, qui, du château, ne dédaignaient pas de faire, par une montée très fatigante, le pèlerinage de Montlouis. Je devais à la faveur de M. et de Mme de Luxembourg toutes ces visites, je le sentais, et mon cœur leur en faisait bien hommage. C’est dans un de ces transports d’attendrissement que je dis une fois à M. de Luxembourg, en l’embrassant : Ah ! monsieur le maréchal, je haïssais les grands avant de vous connaître, et je les hais davantage encore depuis que vous me faites si bien sentir combien il leur serait aisé de se faire adorer. »

Voilà un des côtés de la vanité de Rousseau, l’attendrissement qu’il éprouve à se voir recherché par les grands ; l’autre côté de cette vanité est l’attendrissement qu’il éprouve à se trouver simple et familier avec les pauvres gens. Il se sait gré d’être bon prince et de revenir souper avec le maçon Pilleu, un de ses voisins et de ses amis, après avoir dîné au château. Que conclure de ces divers traits de la vie de Rousseau à Montmorency ? L’équilibre lui manquait partout, en haut, avec M. et Mme de Luxembourg et leur brillante société,