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de prison. Le curé obtint remise de la peine, mais c’était lui qui avait porté plainte, et Malaterre ne l’oublia pas. Il fut ramené dans le village par les gendarmes, la corde aux mains. Cet outrage avait laissé une fureur vague dans cette âme exaltée par un sentiment sauvage de justice et de dignité. — Suis-je un voleur ? disait-il. La prison n’est faite que pour les voleurs.

Quand le curé vit Jean Malaterre devant lui, il se baissa et se mit à genoux, non sans peine, car le tonneau vacillait. Les rues sont en pente raide à Lamanosc, et le curé était un gros homme, court, replet et pataud ; mais en ce moment personne ne songeait aux moqueries, tous les cœurs étaient à l’amitié. On ne riait ni de la tournure ni de l’accent. Quoique le curé parlât bon provençal, il se glissait toujours dans ses discours des intonations, des désinences des Alpes, plus dures et gutturales, qui trahissaient son origine montagnarde.

Après s’être mis à genoux, le prêtre leva sa droite, l’étendit du côté de la croix, et dit d’une voix qui s’entendait jusqu’au faubourg :

— Jean-Siméon Malaterre, fils d’Hilarion-Siméon Malaterre, devant Notre-Seigneur et devant toute la commune, à genoux, comme pécheur, je te demande ton pardon.

Malaterre le saisit et l’embrassa rudement ; puis d’une voix éclatante, avec un geste d’autorité, impérieux, la tête haute, il dit au peuple :

— Peuple de Lamanosc, vous savez si l’on m’a fait du mal ; on m’a mis à la cour d’assises avec les gendarmes, comme un voleur…

Au souvenir de cette injure, la colère montait en lui, et sa voix tremblait.

—… Oui, comme un voleur, et vous savez si les Malaterre ont de l’honneur ! Les gendarmes m’ont fait marcher devant leurs chevaux, ils ont attaché des cordes à ces mains. Si je n’écoutais que mon injure, je ferais aujourd’hui la justice ; mais il a bien parlé, c’est fini entre nous, et devant tous je lui jure son pardon. Et maintenant, ajoutait-il, en faisant sonner la crosse de son fusil sur le roc, maintenant que Jean Malaterre a pardonné, qui donc oserait rester dans la vengeance ?

Il souleva un tronc de hêtre, le brisa contre la muraille, et dit : — Ainsi soient brisées toutes les haines et les inimitiés !

Il prit ensuite un quartier de roche sablonneuse, le broya dans ses mains, et jeta les débris derrière lui en disant : — Ainsi soient écrasées les haines et les inimitiés, et que les vents en emportent la poussière ! Quand les villages marchent sur la commune, celui qui garde un cœur ennemi trahit la commune.

Alors ce fut de toutes parts un entraînement sans exemple ; l’amitié