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La tante se leva précipitamment. En toute hâte, elle prit congé de Marcel et du docteur, et sortit pour ne pas se rencontrer avec la Damiane ; mais l’attelage de la carriole était encore à l’étable. Dans son empressement, tante Blandine se mit à aider Cascayot pour harnacher et brider les bêtes. Elle conduisit elle-même le Garri à l’abreuvoir, et tout en activant le départ, elle reprenait sa mauvaise humeur et ne cessait de répéter à Sabine. — On m’a fait faire un pas de clerc ! C’est votre faute, après tout. Maintenant notre retour devient de plus en plus impossible. Aussi pourquoi Cascayot n’a-t-il pas pris l’autre route ? Et cet Espérit, cet Espérit !… Ah ! ce voyage est d’une urgence !… Et j’espère bien que nous voilà parties pour toujours !

Si agile que fût Cascayot, tous ces préparatifs de départ prirent du temps. Au moment de grimper sur le marchepied de la carriole, Mlle Blandine aperçut la Damiane qui entrait dans la cour ; elle prit sa nièce par le bras, et bien à contre-cœur elle s’approcha de la Sendrique pour la saluer. La Damiane descendit de sa mule, et Sabine lui tendit la main au saut de l’étrier. En quelques mots, la Sendrique les remercia toutes deux de leur visite, et d’une façon si simple, si affectueuse, que la tante elle-même se sentit touchée, attendrie.

Mlle Blandine remonta en voiture très émue et très mécontente d’elle-même. Comme elle se repentait toujours de ses bons mouvemens, elle s’accusa bientôt de faiblesse, et tout en querellant sa nièce, elle se querellait elle-même, en grande subtilité, pour effacer cette douce impression qu’elle avait reçue de la Damiane.

Au tournant de la route des Rétables, la carriole fut croisée par une calèche découverte attelée de deux chevaux fringans lancés au galop. Maître Mazamet était assis sur le siège et conduisait à grandes guides. En rendant son salut à l’avocat, Mlle Blandine se pencha lestement de côté pour jeter ses regards curieux au fond de la voiture ; elle entrevit la belle Félise étendue avec nonchalance sur ses carreaux de velours rose, parée comme une princesse, dans toutes ses élégances, toute galante et pimpante, au milieu des fleurs et des dentelles. Elle jouait de l’éventail et souriait à Lucien, qui caracolait à la portière.


Jules de la Madelène.