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place d’honneur et le privilège de donner le bras à la maîtresse de la maison reviendront de droit, au mieux né des deux, non pas au plus riche ; le lord de création nouvelle, tout millionnaire qu’il est par-dessus le marché, devra baisser pavillon devant les vieux parchemins et la bourse vide du pauvre hère dont les habits râpés avaient d’abord excité sa commisération.

Digne et courtois envers ses enfans comme vis-à-vis des étrangers, ce fier champion du pur sang respecte jusqu’en eux la race dont il s’enorgueillit d’être issu. Resté veuf, il reporte sur sa fille les égards chevaleresques dont sa femme avait toujours été l’objet. En revanche, il attend de ces mêmes enfans, étonnés peut-être de se voir traités avec une considération si précoce, qu’ils se respecteront eux-mêmes tout autrement que ne le font les gens de peu. Un mensonge, chez eux, acquiert la gravité d’une dérogeance, et la même faute qui serait péché véniel chez le fils d’un plébéien perd tout droit au bénéfice des circonstances atténuantes, lorsqu’elle est commise par un jeune homme qui se doit sans réserve à l’intégrité d’un armorial jusque-là préservé de toute souillure.

Il est triste de dire, mais il serait utile de savoir que la nature humaine n’accepte, ni pour le bien, ni pour le mal, au-delà d’une certaine mesure, ces distinctions héraldiques. Le frère aîné de Basil, au sortir de l’université, où il a contracté bon nombre de dettes, acquittées sans sourciller par le chef de la famille, se compromet dans une intrigue avec la fille d’un de leurs tenanciers. Il y a là quelque chose d’avilissant pour le nom. Ralph est donc exilé par son inflexible père, et va contracter sur le continent une multitude de défauts étrangers dont gémira plus tard le patriotisme de ce Brutus en frac noir. Déguisant le chagrin paternel que lui coûte son excessive rigueur, celui-ci continue en attendant à vivre entre sa fille Clara et son fils Basil, unis par la plus tendre affection.

Pour ce dernier, les plus rares conditions de bonheur semblent réunies. Il a le choix entre toutes les carrières qui peuvent solliciter l’activité d’un homme intelligent : l’église, l’armée, la haute administration, le barreau, le parlement, tout s’offre à lui avec des débuts faciles, des chances de succès à peu près certaines. Il a choisi le barreau, non pas précisément pour ce que les études des Inns-of-court peuvent avoir d’attrayant. — ni à cause des gains considérables que procure parfois la pratique des tribunaux, ni même comme un utile apprentissage de l’éloquence, si nécessaire, chez nos voisins, à qui veut devenir homme d’état, — en un mot, par aucun des motifs sérieux que son père aurait compris et approuvés, mais tout simplement pour se ménager les loisirs nécessaires à la composition d’un premier ouvrage. Il arrive du continent, où il a recueilli les matériaux d’un roman historique, — on voit ici s’amalgamer d’une façon assez