Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/847

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manuscrit entouré de faveurs bleues. « Je ne sais si cela vous plaira ;… mais, s’il faut tout dire, je me suis permis de jeter sur le papier quelques réflexions générales sur l’art,… par manière d’introduction à… à mon tableau de Colomb. Ce tableau, je le sais, demande plus que les autres toiles sorties de mes mains à être préalablement interprété. Les voici,… je parle des réflexions,… les voici tant bien que mal rédigées. Quelqu’un voudrait-il être assez bon pour les lire tout haut, tandis que j’indiquerais sur le tableau les détails auxquels a trait chacune d’elles ? Je demande ce petit service uniquement parce qu’il peut sembler assez « personnel » que je lise moi-même mes opinions sur mes propres œuvres… — Voyons, quelqu’un sera-t-il assez bon ?… répéta M. Blyth, parcourant l’hémicycle de chaises, et présentant à qui voudrait le prendre son précieux manuscrit ; mais pas une main ne s’offrit. La timidité parfois est si contagieuse !

« — Allons donc, Blyth, s’écria lady Brambledown, lisez-nous cela vous-même ! Personnel ! y pensez-vous ? Tout le monde est personnel. J’ai horreur des gens modestes ; ce sont tous des hypocrites. Lisez-nous cela, et faites-vous valoir de votre mieux. Vous en avez le droit plus que la plupart de vos confrères, car vous appartenez à l’aristocratie du talent, — la seule, à mon avis, qui vaille la peine d’en parler. » — ici sa seigneurie s’administra une prise de tabac, et regarda les dignes bourgeois qui l’entouraient d’un air qui voulait dire très clairement : — Eh bien ! que pensez-vous de ceci dit par une comtesse douairière ?

« Ainsi encouragé, Valentin se posta au-dessous du Christophe Colomb et déroula son manuscrit.

« — Quel homme singulier, ce M. Blyth ! murmura une des dames présentes à l’oreille de quelqu’un placé derrière elle.

« — Et quel singulier tohu-bohu il a fait venir ! lui fut-il répondu avec un regard jeté sur la porte où se pressait, en habits du dimanche, la démocratie de l’auditoire, non sans quelque timidité.

« — Les tableaux que j’ai l’honneur d’exposer devant vous, commença Valentin, les yeux fixés sur le manuscrit qu’il lisait, ont été peints d’après un principe…

« — Pardon, Blyth, interrompit lady Brambledown, dont l’oreille exercée avait saisi au vol la remarque désobligeante qui venait d’être faite, et qui se fit aussitôt un point d’honneur de constater publiquement le libéralisme pompeux de ses opinions… Pardon, Blyth ; mais n’avez-vous pas ici ce brave jardinier avec qui je causai tant la dernière fois ?… C’est bien lui que j’aperçois là-bas, derrière la porte… Pourquoi donc n’entre-t-il pas ? Venez, jardinier, venez derrière mon fauteuil.

« Le jardinier s’avança, très malheureux de voir ainsi l’attention publique se fixer sur lui, et très honteux du bruit que ses bottes faisaient sur le parquet.

« — Avancez !… Comment vous portez-vous ?… et votre famille ?… Pourquoi rester à la porte ?… Vous êtes un des invités de M. Blyth, et vous avez autant de droit qu’aucun de nous à entrer ici… Tenez-vous là, écoutez, et profitez, et formez votre intelligence !… Nous sommes, jardinier, dans un siècle de progrès… Votre classe prend la haute main,… et il était grand temps… Continuez, Blyth !