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aujourd’hui de ne plus douter des dispositions réelles de la Suède, de ses sympathies pour la cause occidentale, — sympathies qui, à l’heure dite, se transformeront sans effort en une coopération directe à la guerre.

Ainsi on peut déjà distinguer tous les élémens d’une situation nouvelle. Le faisceau des alliances européennes se fortifie et se resserre, tandis que l’isolement de la Russie s’accroît. L’Allemagne se résoudra-t-elle enfin à suivre l’impulsion qui pousse les peuples dans la sphère d’action occidentale ? Ce rôle qu’elle aurait pu prendre si utilement et si efficacement, l’Allemagne l’a laissé à d’autres pays, reculant quant à elle devant l’aveu d’une politique. Alliée des puissances occidentales ! elle n’a point voulu l’être ; alliée de la Russie ! elle n’a point osé le devenir ; médiatrice ! elle ne serait point acceptée. On dirait qu’en tout elle s’est proposé de suivre une politique d’incompétence et d’abstention. L’Allemagne a réussi à ne rien faire. Cela peut tenir à bien des circonstances ; mais la principale, à coup sûr, est l’état de division, de morcellement et d’antagonisme qui rend ce grand corps si difficile à mouvoir. Il faut bien le dire : la guérie froisse tous les goûts, toutes les habitudes, toutes les passions étroites de ces petits états allemands et des hommes qui les gouvernent, parce que la guerre, en les contraignant à se grouper autour de la Prusse ou de l’Autriche, leur fait sentir la dépendance dans laquelle ils vivent. Les petits états allemands devaient répugner bien plus vivement encore à une guerre contre la Russie, car depuis longtemps ils se sont accoutumés à chercher dans le tsar un protecteur contre les prétentions absorbantes de l’Autriche et de la Prusse. On sait tout ce qu’a fait l’empereur Nicolas pour entretenir ces dispositions dans les petites cours germaniques, et comme en définitive les petits états consultent leurs intérêts bien plus que l’indépendance de l’Allemagne et les grands intérêts de l’Europe, ils se sont trouvés tout naturellement russes encore plus qu’allemands. C’est ainsi que depuis le commencement de la guerre il n’a cessé d’y avoir en Allemagne un travail public ou secret en faveur de la Russie. C’est ainsi que s’organisait l’an dernier la conférence de Bamberg, qui a eu pour résultat d’endormir l’Allemagne dans une impotente, neutralité, de fournir un point d’appui aux tergiversations de la Prusse et de retenir l’Autriche, ou du moins d’offrir un prétexte à ses temporisations.

Voici cependant aujourd’hui que les organisateurs de la conférence de Bamberg, le premier ministre de Saxe, M. le baron de Beust, et le président du conseil de Bavière, M. von der Pfordten, viennent de faire un voyage en France. Les inclinations russes de ces deux personnages n’étaient point un mystère jusqu’ici ; M. de Beust notamment a pu passer pour le meilleur ministre de la Russie en Allemagne. Si l’un et l’autre sont venus à Paris, ce n’est point sans motif apparemment ; on peut bien en conclure du moins que, leur politique tend à se modifier et à se tourner vers les puissances occidentales. Cela veut-il dire que les états allemands sont prêts à l’action ? Cela peut prouver simplement qu’ils commencent à désespérer de la Russie. Chose étrange ! l’Allemagne a cru agir dans l’intérêt de la paix, elle n’a fait que rendre la guerre plus intense et plus compliquée. S’il y eut jamais une puissance mise en demeure de remplir une mission simple, nette et décisive,